Pourquoi le monde arabe n’est pas libre
Cher collègue,
L’analyse de Moustapha Safouan est évidement pertinente. L’arabe littéraire est une langue très élaborée, d’un apprentissage difficile faisant appel avant tout à l’utilisation de la mémoire. L’arabe dialectal (il y a en réalité de nombreux dialectes) est une langue essentiellement parlée, d’usage courant pour le vulgum pecus. De fait, la connaissance de l’arabe littéraire est réservé à une caste de lettrés, qui de par son statut détient aussi le pouvoir.
Cette "verticale d’un pouvoir concentré" a pour effet de bloquer l’évolution de la société toute entière.
On peut élargir le propos à toutes les sociétés configurées selon ce type : une caste de lettrés et la masse. On peut penser ainsi à la structure traditionnelle des sociétés asiatiques dans lesquelles l’apprentissage d’un vocabulaire de dizaines de milliers de signes est un pensum que seuls des individus spécialement et longuement formés maîtrisent. Cela produit un mandarinat détenteur du savoir et du pouvoir.
Dans le monde arabo-musulman comme dans le monde asiatique, on rencontre la même démarche relatée par Moustapha Safouan, à savoir que l’on manipule des concepts que l’on a pas produit. Dans le cas du monde asiatique, on fabrique des objets (voitures, avions, ordinateurs, etc) que l’on a pas inventés. Il est erroné de croire que lorsqu’on transmet des concepts et des technologies on transmet une culture car ces concepts et technologies sont justement les résultats d’une culture particulière.
Fernand Braudel, dans une vision saillante, comparait les sociétés où l’on est assis sur une chaise et celles où l’on s’assoie sur le sol. Il en résulte pour les premières que la culture de l’ensemble de la société est de se dégager du passé, de regarder devant et plus loin. Pour les secondes, la culture partagée est l’attachement au passé, à la tradition, à la stabilité.
Bien cordialement.
Hugues Chevalier.