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Préface
de Christian Queinnec, Professeur à l'Université Pierre et Marie Curie

« Pourquoi l'informatique est-elle si compliquée ? » J'entends, je lis, souvent, cette question. Elle dénote à la fois une incompréhension de ce que recouvre réellement l'informatique (manipuler une feuille de calcul dans un tableur ressortit-il à l'informatique ?), un effroi devant une révélation a priori déplaisante (l'informatique est complexe) enfin, un découragement devant l'effort supposé immense qu'il faudrait déployer pour dominer cette science.

Si l'on reprend les termes de cette question en les adaptant aux mathématiques, son inanité saute aux yeux car qui s'exclamerait « pourquoi les mathématiques sont-elles si compliquées ? ». Il est de notoriété publique que les mathématiques sont compliquées : un long apprentissage, comptant de nombreuses années d'étude et accompagné d'un discours approprié, nous en ont finalement persuadés. Tapoter une calculette, nous en sommes sûrs, ne s'apparente pas à faire des mathématiques et se tromper dans les touches n'est pas vécu comme une insuffisance en mathématiques.

Reprenons encore les termes pour les adapter à la mécanique, « pourquoi la mécanique est-elle si compliquée ? » pourrait s'exclamer un automobiliste immobilisé le long d'une autoroute. Il a encore (pour quelques années seulement) la possibilité d'ouvrir le capot de sa voiture et de contempler la belle ordonnance de fils, de tuyaux et de pièces métalliques qui autrefois fonctionnaient lorsqu'il mettait le contact. Mais, fort heureusement pour lui, existent des garagistes et des mécaniciens qui pourront remettre en état sa voiture. Notre automobiliste n'aura plus que le goût amer de l'argent dépensé sans savoir pourquoi cela ne marchait plus ni pourquoi cela re-marche. Notons que, dans ce cas, recourir à un professeur d'université en mécanique n'a que peu de chances d'être fructueux : l'écart entre la science mécanique et la technique étant par trop grand.

Conduire n'est pas « faire de la mécanique » pas plus que mettre en gras un titre n'est « faire de l'informatique ». En revanche, déceler un bruit bizarre en roulant et l'attribuer aux pneus ou au moteur, à la direction ou au freinage, aide le diagnostic du mécanicien. Déceler si un dysfonctionnement provient de l'affichage ou du réseau, d'un disque ou de l'ordonnancement facilite, de même, le diagnostic. Encore faut-il, tout comme en mécanique, connaître les grandes fonctions et leurs relations, savoir ouvrir le capot et nommer les éléments découverts. C'est ce but que sert l'ouvrage de Laurent Bloch.

L'informatique ne se réduit pas à un ordinateur, ni même aux logiciels qui l'équipent. Un ordinateur a une structure physique (unité centrale, périphériques, etc.), il est animé par un système d'exploitation qui, lui même, est structuré (ordonnancement, système de fichiers, réseaux, etc.) et sert de support à de multiples applications. Cette structure et son histoire, la lente maturation des concepts et leur évolution sous la pression des connaissances, des désirs et de la mercatique sont excellemment narrées dans ce livre.

Ce livre est excellent et constitue une remarquable introduction à l'informatique, science de l'abstrait, par le biais d'un de ses produits les plus immatériels mais des plus répandus : les systèmes d'exploitation. J'en recommande la lecture à tout utilisateur conscient et curieux car sa future liberté, en tant que simple utilisateur de l'informatique, dépend en grande partie de sa capacité à comprendre les enjeux des batailles politiques qui, en ce moment, font rage. Et si le lecteur de cette préface se demande pourquoi la liberté intervient dans ce qui n'est qu'une matière technique, nous l'invitons derechef à se plonger dans cet ouvrage.

© copyright Éditions Vuibert et Laurent Bloch 2003
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