Naguère, il y avait l’enseignement, qui permettait à ceux qui étudiaient d’acquérir des savoirs. Maintenant, il y a la formation, censée conférer des compétences à ceux qui y assistent. Cela change tout.
C’est Laurence Puel, professeur à l’Université d’Orsay et membre du Laboratoire de recherche en informatique (LRI) de cette université, qui a attiré mon attention sur ce point sensible de terminologie, et sur ses conséquences.
L’enseignement attendait de la part des élèves ou des étudiants une action : étudier, apprendre, ce qui supposait un travail personnel. Comme me l’a un jour fort bien expliqué l’institutrice de mon fils, les devoirs à la maison sont (étaient) indispensables pour que l’élève apprenne à travailler par lui-même, à trouver des réponses aux difficultés qu’il rencontre, ne serait-ce que chercher dans un dictionnaire.
Maintenant, de plus en plus, la formation s’adresse à des auditoires passifs, qui vont acquérir la compétence transmise en quelque sorte par infusion.
J’en ai fait l’expérience il y a quelques années à l’occasion de mes cours au CNAM. Lors de la séance d’introduction, j’expliquai aux élèves que s’ils voulaient vraiment savoir programmer, il leur faudrait, en sus des cours et des séances de travaux dirigés, consacrer quatre heures par semaine à des exercices personnels. Je croyais avoir fixé un objectif modeste : le public m’a éclaté de rire au nez, ils avaient autre chose à faire que de perdre quatre heures par semaine à travailler chez eux. Nous avons alors essayé de donner des devoirs à rendre : les trois quarts de l’effectif du cours se sont évaporés. Depuis, nous avons trouvé, pour obtenir que les élèves travaillent effectivement, des moyens qui reposent plus sur la persuasion, et qui obtiennent le résultat voulu pour une bonne moitié des élèves.
Quelques années encore auparavant, j’avais observé un signe avant-coureur. C’était au CNAM le lancement des formations « Ingénieurs 2000 ». Cette opération a permis de doubler le nombre de diplômes d’ingénieurs délivrés chaque année en France, ce qui était urgent. Beaucoup de formations ouvertes étaient financées par les employeurs, qui y envoyaient des techniciens prometteurs, avec un statut d’apprentis. On nous expliquait alors qu’en contrepartie il n’était pas vraiment envisageable que des candidats échouent. Il était bien sûr légitime que l’enseignement et le contrôle des connaissances soient organisés de façon à limiter le taux d’échec, mais de là à garantir le succès, il y avait quelque-chose de choquant.
De plus en plus, la formation et le diplôme qui en découle sont devenus des droits, et les matières qui demanderaient un vrai travail personnel, pas juste relire en vitesse un vague polycopié, sont de plus en plus désertées par les étudiants, hormis certains qui viennent de pays lointains où la vie est dure, et qui savent que l’effort est payant.
Voilà un argument supplémentaire pour l’introduction de l’informatique dans l’enseignement secondaire : là, on peut encore donner des devoirs obligatoires, et des devoirs surveillés. Pour quelque temps encore.