Urgence de la formation professionnelle
La plupart des candidats à l’élection présidentielle ont insisté sur la nécessité d’améliorer nos dispositifs de formation professionnelle, notamment ceux qui s’adressent aux adultes, et ils ont eu raison.
En effet, comme nous sommes en pleine révolution cyberindustrielle, le paysage économique se transforme à grande vitesse, et, par conséquent, l’offre et la demande d’emploi aussi. Des activités disparaissent ou émigrent, qu’il est illusoire d’espérer maintenir à coup de subventions, et il est donc urgent de tout mettre en œuvre afin que les travailleurs de ces activités puissent se réorienter vers d’autres emplois. La formation professionnelle des adultes ne peut pas tout, mais elle peut beaucoup, à condition d’être orientée convenablement.
La dépense publique de formation professionnelle en France est de l’ordre de 32 milliards d’euros par an [1]. La plupart des observateurs s’accordent à dire que l’usage de ce budget considérable n’est pas optimal, qu’il ne serait surtout pas de nature à remettre sur le chemin de l’emploi les travailleurs les plus menacés ou les plus démunis ; moins de 15 % de cette somme est destinée à la formation des chômeurs, par exemple. Je n’aborderai pas ici ce problème dans sa généralité, d’autres en parleront mieux, je me limiterai à un volet de ce dispositif que je connais bien, le Conservatoire national des Arts et Métiers (Cnam). À l’appui de mes propos je vais exposer ce qu’était le Cnam, ce qu’il est, ce que j’y ai fait et ce que j’y fais.
Le Cnam, aux avant-postes de la promotion supérieure du travail
Conformément au décret n° 88-413 du 22 avril 1988 [2], le Cnam avait alors « principalement pour mission d’assurer la promotion supérieure du travail et la formation professionnelle continue [...] À cet effet [il choisissait] ses enseignants compte tenu de leur connaissance des réalités professionnelles ». De 1988 à 1991 j’ai dirigé son Laboratoire d’informatique, parmi les missions duquel figurait l’administration du réseau de l’établissement, la fourniture de moyens de calcul aux équipes d’enseignement et de recherche, la coordination informatique de la centaine de centres régionaux d’enseignement.
Bioinformatique au Cnam
Depuis 2003 je contribue aux enseignements de bioinformatique du Cnam, qui au début consistaient en un simple certificat de compétence, avant la création d’une licence professionnelle, puis d’un diplôme d’ingénieur [3]. Ces enseignements procurent à des techniciens biologistes, ou plus généralement à des détenteurs de diplômes de biologie, en sus de leur formation initiale, des savoirs et des compétences en informatique, désormais indispensables dans ce domaine, et de nature à leur permettre de conserver ou de trouver un emploi, puis de progresser dans une carrière de bioinformaticien.
Rien n’est plus urgent que ce type d’enseignement. En effet l’offre d’emplois de techniciens biologistes à l’ancienne mode (fermenteurs et pipetman...) recule. De façon plus générale, il y a une disproportion considérable entre les effectifs d’étudiants en biologie et l’offre d’emplois, je l’avais déjà constaté lorsque j’étais à l’Institut Pasteur. Il y a par contre une demande croissante pour des diplômés qui à leur formation initiale en biologie ont adossé une formation complémentaire en informatique, d’où le succès du cours Pasteur d’informatique en biologie que nous avions créé, décrit par l’article indiqué par le lien précédent. La biologie d’aujourd’hui ne se conçoit plus sans informatique. Au cours Pasteur nous avions des étudiants avec des doctorats, parfois de bons postdocs, sans emploi, et qui tous ont trouvé du travail grâce aux bases de l’informatique que nous leur donnions. Les seuls qui n’ont pas compris cela, ce sont les biologistes français, surtout dans le monde universitaire.
Quel avenir pour ces enseignements ?
Pour enseigner l’informatique au Cnam à des biologistes il faut avoir conscience de quelques particularités : la plupart des étudiants qui ont choisi la biologie en formation initiale ont pris cette voie pour éviter les mathématiques, il ne faut donc pas leur enseigner l’informatique avec des exemples empruntés aux mathématiques, d’ailleurs ce n’est pas à ce type d’applications qu’ils auront affaire. Il y a suffisamment de matière avec les algorithmes de texte, de tri, de recherche, de dénombrement, qui sont ceux qui servent en biologie.
Sauf exception, les auditeurs du Cnam ne visent pas une carrière de chercheur. Beaucoup d’entre eux ont déjà dû apprendre le français, qui n’était pas leur langue maternelle, pour poursuivre leurs études. Il faut donc enseigner en français, avec des documents en français. Cela existe, pas seulement ceux que j’ai écrits moi-même.
Au début de ces enseignements, lorsqu’il n’y avait qu’un certificat de compétence, leur positionnement n’était pas clair et je voyais une proportion non négligeable d’auditeurs qui se demandaient un peu pourquoi ils étaient là et surtout pourquoi on s’attendait à ce qu’ils écrivent des programmes informatiques. Avec la création de la licence professionnelle et du diplôme d’ingénieur la situation s’est améliorée, il y avait un cursus visible qui attirait un public motivé, avec de bons résultats.
Aujourd’hui la filière bioinformatique part en quenouille, le renouvellement du diplôme d’ingénieur est en suspens, la licence professionnelle a été fusionnée avec celle de « biotechnologie », dont les responsables n’ont pas vocation à s’occuper de bioinformatique (il s’agit de biotechnologie au sens français, à l’ancienne). Ils continueront à former des techniciens biologistes à l’ancienne mode, voués au chômage, et la bioinformatique va péricliter. La responsabilité de cette situation est partagée avec les bureaucraties conjuguées du Cnam et du ministère, qui administrent l’enseignement selon une vision comptable, comme une charge à réduire, et qui veulent « rationaliser » en regroupant des enseignements qui n’ont pas grand-chose en commun. Bon, on me promet que le diplôme d’ingénieur sera maintenu, j’en accepte l’augure.
Dès lors que le Cnam s’est mis à ressembler de plus en plus à une université ordinaire et à recruter son corps enseignant sur les mêmes critères que les universités, il était inévitable que la mission de formation professionnelle continue tombe en désuétude, sauf éventuellement pour des formations financées à des niveaux élevés par des entreprises. Mais les cours du soir payés par les auditeurs pour des frais d’inscription symboliques n’intéressent plus personne. C’est pourtant la mission première du Cnam, et ce dont le pays a besoin.