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Un article de Pamela Samuelson dans les CACM
A-t-on encore le droit de réparer son téléphone ?
Article mis en ligne le 29 novembre 2022

par Laurent Bloch

Dans le numéro de novembre 2022 des Communications of the Association for Computing Machinery (CACM), revue de la principale société savante informatique, Pamela Samuelson, professeur de droit à l’Université de Californie (Berkeley), aborde la question de savoir si le propriétaire d’un appareil électronique a le droit de le réparer lui-même, ou de le faire réparer par une entreprise indépendante du fabricant. Naguère ce droit allait de soi pour tous types d’appareils, vélos, machines à écrire ou autos (on remarquera néanmoins une décision incompréhensible de la Commission européenne, qui autorise les constructeurs automobiles à breveter les pièces extérieures de carrosserie, ce qui a anéanti l’industrie des carrossiers indépendants et augmenté considérablement les coûts de réparation ; il conviendrait d’investiguer un éventuel conflit d’intérêt de l’Office européen des brevets).

Ça c’était naguère, mais aujourd’hui pratiquement tous les appareils, du grille-pain à la moissonneuse-batteuse, sont électroniques et comportent des logiciels, protégés en France par le droit d’auteur agrémenté de quelques clauses spécifiques, et aux États-Unis par l’U.S. Copyright Office. Les fabricants arguent de ces protections pour empêcher les réparateurs indépendants d’agir, et d’ailleurs pour plus de sûreté ils ne publient pas la documentation technique nécessaire et ne vendent pas de pièces détachées.

Aux États-Unis comme en Europe ou en Australie, la résistance s’organise sur le terrain judiciaire. Une bonne moitié des États américains ont introduit dans leur législation des clauses destinées à ouvrir le droit à réparation indépendante du fabricant. La Federal Trade Commission (FTC) a publié en 2021 un rapport intitulé Nixing the Fix qui critique les dispositions prises par les fabricants pour s’opposer aux réparateurs indépendants. L’U.S. Copyright Office a approuvé certaines exceptions aux règles qui interdisent le contournement des dispositifs de verrouillage du logiciel.

Mais, en même temps, tout se complique : ainsi, pour les automobiles, les technologies de communication sans fil permettent désormais aux constructeurs d’observer en temps réel le fonctionnement des véhicules et d’archiver ces observations dans leurs bases de données. Les organisations de réparateurs indépendants demandent le droit d’accéder à ces bases de données, mais les constructeurs s’y opposent en arguant de la sécurité nécessaire de ces données de télémétrie. L’affaire est en instance devant les tribunaux du Massachusetts.

La FTC a identifié plusieurs procédés des constructeurs pour faire obstacle à la réparation indépendante :

 conception qui empêche ou complique la réparation ;
 indisponibilité des pièces détachées et de la documentation ;
 conception qui rend moins sûre la réparation par un tiers ;
 incitation du client à s’adresser au fabricant pour les réparations ;
 recours aux brevets et marques de fabrique ;
 dénigrement des pièces détachées et réparations indépendantes ;
 verrouillage du logiciel ;
 restrictions contractuelles.

Pamela Samuelson énumère quelques autres cas de contestations juridiques, par exemple autour du Digital Millenium Copyright Act (DMCA) qui pénalise le contournement des systèmes de verrouillage du logiciel. Même ici en Europe il faut s’intéresser à ce genre de conflits, compte tenu de la propension croissante des autorités états-uniennes à l’application extra-territoriale de leur droit.

Elle termine par une allusion aux efforts des fabricants pour convaincre leurs clients de jeter leurs appareils pour acheter le dernier modèle, en faisant remarquer que la préoccupation croissante pour les aspects environnementaux du consumérisme peut encourager les activités des réparateurs indépendants, des bricoleurs individuels et des simples citoyens qui voudraient simplement pouvoir réparer eux-mêmes leurs appareils.