Isabelle Boydens, qui enseigne à la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université Libre de Bruxelles, et dont l’ouvrage Informatique, normes et temps (Bruxelles : Éditions E. Bruylant) a procuré nombre d’idées et d’informations à mon propre travail, m’a envoyé un long message dont elle m’a autorisé à publier ici les extraits suivants, qui font référence aux articles Contre les méthodes de conduite de projet, Comment travailler avec des informaticiens ? et Travail ou imitation de travail ? :
Historienne de formation, j’ai apprécié votre analyse de l’évolution
du travail tel qu’il est perçu dans nos sociétés, depuis l’analyse de
Weber. Vos remarques sont extrêmement pertinentes dans le contexte du
« travail informatique » et je n’avais jamais rien lu de tel. Vos
réflexions à propos de « l’imitation du travail » sur la base de
l’ouvrage de Zinoviev sont excellentes.
A l’heure actuelle, je donne cours à l’ULB mais travaille aussi « sur
le terrain », dans le centre de recherche d’une société en charge de
l’informatique de l’administration fédérale belge. Et à ce titre, j’ai
apprécié votre critique du cycle de développement en « v ». Très
souvent, comme vous l’évoquez à plusieurs reprises, les projets
réussis résultent d’une collaboration entre intervenants de « bonne
volonté » et d’un usage « parcimonieux » des méthodes de
développement. In fine, il faut beaucoup d’expérience et de « bon sens »
pour faire réussir un projet mais comment formaliser le « bon sens » ?
J’ai aussi beaucoup appris à propos du travail de programmation (je
vous dis cela en toute modestie car, contrairement à vous, je n’ai pas
les compétences d’un vrai programmeur). En particulier, j’ai été
impressionnée par votre analyse de la différence entre langage
mathématique et langage de programmation, en raison du caractère
« physique » inhérent au second. Cela veut-il dire quelque part qu’un
langage de programmation est moins déterministe que le langage
mathématique ?
A l’Université de Bruxelles, je donne les cours de documentologie et
d’automatique documentaire. A ce titre, j’ai été intéressée par votre
évocation des thésaurus, ces langages documentaires souvent méconnus
dans le monde de l’informatique. Votre critique des ontologies est un
régal ! Cette prétention à vouloir capter le « réel » dans un modèle
formalisé est en effet dérisoire. Toutefois, si l’on relativise la
portée des normes du W3C à propos du Web sémantique (il ne s’agit
jamais que de termes mis en relation sur la base de la logique du 1er
ordre, etc ; d’une représentation partielle et partiale du réel,
lequel est sujet à évolution), je me demande s’il n’y a pas dans ces
normes des éléments novateurs intéressants. Il me semble que l’on
trouve dans le modèle proposé, dans un même environnement, à la fois
le pouvoir d’expression d’un thésaurus et celui d’un modèle de base de
données. Et si elles arrivent à maturité (pour l’instant, il y a
encore dans les normes OWL du délire de chercheur, certaines « couches
» étant explicitement « indécidables »), elles pourraient peut-être à
terme constituer un avenir pour les thésaurus. Naturellement (cela
vaut pour tous ces langages de représentation), plus le modèle est riche, plus sa conception, sa gestion, sa maintenance sont coûteuses, notamment en termes d’input intellectuel (puisque ces langages ne peuvent naturellement pas être construits automatiquement comme le préconisent certains). Par ailleurs, ces normes ne pourraient être opérationnelles que dans un environnement fermé et contrôlé (et non dans l’espace ouvert du Web). J’ai écrit un petit papier à ce propos
(« du « web sémantique » au « web pragmatique ») et je vous l’envoie à tout hasard.
Il y a aussi une question en filigrane dans votre livre : celle de la pérennité de l’information (que faire du code « obsolète » auquel on ose plus toucher, comment gérer les évolutions des logiciels, ...). Cela m’intéresse beaucoup dans le contexte de la « préservation à long terme de l’information numérique » : c’est une question que
j’aborde dans mes cours et que je dois par ailleurs traiter à propos des bases de données administratives ; voici un court papier
où j’ai tenté de cerner cette problématique.