Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Un rapport de l’Institut Montaigne :
Avoir des leaders dans la compétition universitaire mondiale
(et installer le ministère des universités en Seine-Saint Denis)

Article mis en ligne le 13 avril 2010
dernière modification le 9 août 2020

L’Institut Montaigne

Depuis quelques mois je participe à un groupe de travail de l’Institut Montaigne coordonné et animé par Michel Volle. Cela m’a permis de mieux connaître ce think tank français dirigé par François Rachline, dont voici un aperçu du programme :

« L’Institut Montaigne organise ses travaux autour de trois axes de recherche :

 mobilité et cohésion sociale :
égalité des chances, mobilité sociale, formation professionnelle, gouvernement d’entreprise, générosité du public, légitimité des élites…

 modernisation de la sphère publique :
réforme de l’État, système de santé, éducation, recherche, justice, défense/sécurité, sport…

 stratégie économique et européenne :
compétitivité, propriété intellectuelle, questions européennes, agriculture, mondialisation et régulation, homme et climat... »

En 2006 cet institut a publié un rapport intitulé
Avoir des leaders dans la compétition universitaire mondiale qui présente un certain nombre d’idées intéressantes et que je n’ai pas trouvées ailleurs, malgré la profusion d’articles intelligents et bien documentés parus ces derniers temps : Jean-Claude Casanova, Philippe Raynaud, Robert Gary-Bobo, Alain Trannoy et Olivier Beaud dans Commentaire (numéros 117, 121, 127, 128 et 129), Antoine Compagnon, Marcel Gauchet, Pierre Joliot et Jacques Mistral dans le Débat (numéro 156) par exemple.

De l’économie de rattrapage à l’économie d’innovation

L’idée qui guide le rapport est que l’université et la recherche française doivent s’adapter à la transition du système productif français d’une économie de rattrapage à une économie d’innovation. L’économie de rattrapage (par rapport aux pays les plus avancés en 1945, notamment les États-Unis) justifiait des programmes massifs destinés à atteindre des objectifs bien identifiés, par exemple dans le nucléaire, l’agroalimentaire, l’aéronautique. Ces programmes massifs justifiaient à leur tout la création de grands organismes aux missions bien définies, le CEA, l’INRA, l’ONERA, des politiques de recrutement de chercheurs par gros effectifs dans un cadre assez rigide, des thèmes de recherche précis assignés pour plusieurs années aux équipes de recherche.

L’économie d’innovation, au contraire, ne peut se satisfaire de programmes de recherche trop précis, parce que les domaines prometteurs sont par définition impossibles à déterminer longtemps à l’avance. L’orientation des équipes de recherche doit donc être souple et facilement adaptable pour tirer parti des nouvelles directions qui apparaissent de façon impromptue. L’affectation des ressources aux projets doit, de même, être très adaptable pour pouvoir saisir les occasions qui se présentent. Ceci est difficilement compatible avec des procédures de recrutement centralisées et administrées par un ministère.

Cette rénovation de l’université et de la recherche suppose, bien entendu, que leurs moyens soient comparables à ce qui existe dans les pays de pointe (contrairement à une croyance répandue, ce n’est pas du tout le cas), et que les rémunérations des chercheurs soient suffisantes pour que ne soient pas rebutés les individus qui pour être brillants n’en ont pas forcément pour autant une vocation d’anachorète. L’absence d’orientation convenable des bacheliers et la diversité insuffisante du dispositif universitaire conduisent à une véritable thrombose, certaines formations sont encombrées d’étudiants qui y perdent leur temps. Le principe de non-sélection à l’entrée de l’université chasse les meilleurs éléments vers les formations sélectives (IUT, grandes écoles, médecine) et suscite ailleurs la sélection hypocrite par des procédés nauséabonds. Le poids d’une bureaucratie ministérielle qui vérifie chaque bouton de guêtre est un obstacle puissant à la créativité.

Créer de nouvelles institutions

Le rapport passe au crible les faiblesses bien connues du dispositif français de recherche et d’enseignement supérieur, dans la perspective de proposer des mesures pratiques de réforme. Les
écoles dites « grandes » ne sont pas épargnées, notamment par leur talon d’Achille que les commentateurs, par une pudeur mal placée ou intéressée, omettent généralement de mentionner : la pétrification de leur corps enseignant, étant entendu que leur faiblesse, tant en recherche que pour produire des chercheurs, est déjà bien documentée.

Fort de cette analyse, l’Institut Montaigne propose de créer, sur la base des infrastructures de recherche et d’enseignement supérieur existantes, de nouvelles institutions, en prenant des modéles au succès incontestable : le Massachusets Institute of Technology (MIT) et l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Pour que la création de telles entités réussisse, l’Institut Montaigne identifie sept critères :

  1. une masse critique d’étudiants (au moins 5 000) et de chercheurs
    (au moins 1 000) ;
  2. une unité géographique ;
  3. la recherche de l’excellence via la sélection des meilleurs
    chercheurs et des meilleurs étudiants ;
  4. une pluridisciplinarité alliant sciences, humanités, technologies
    et management ;
  5. une continuité entre enseignement supérieur et recherche ;
  6. des liens étroits avec l’industrie ;
  7. une gouvernance efficiente.

Forts de ces principes, les auteurs du rapport envisagent, à titre d’hypothèse, la possibilité de créer ou de refonder cinq institutions universitaires qui seraient, potentiellement, comparables au MIT ou à l’EPFL :

 premier projet possible : une institution nouvelle créée de toutes pièces conformément aux critères énoncés ;
 fertiliser le tissu universitaire de Paris pour former un « Institut d’études avancées » ;
 optimiser et dynamiser le consortium ParisTech, qui n’est guère actuellement qu’un syndicat de grandes écoles ;
 créer l’« Institut de Saclay » à partir des écoles qui y sont installées et de l’université d’Orsay ;
 développer le pôle universitaire grenoblois.

Le second de ces projets, centré sur la Montagne Sainte-Geneviève, comporte une proposition particulièrement séduisante : rendre à l’université, à la recherche et à la vie étudiante (restau. U, cafétéria) les anciens locaux de l’École Polytechnique, abusivement squattés par l’administration du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. « Le ministère, quant à lui, pourrait déménager en Seine-Saint Denis et contribuer ainsi au formidable renouvellement économique et urbain que connaît ce territoire depuis quelques années. »