Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Un film de László Nemes
Le fils de Saul
Article mis en ligne le 3 mars 2016

par Christophe Binot

La vision du film « Le fils de Saul » m’avait laissé hors d’état d’écrire un article à son sujet. D’ailleurs László Nemes lui-même, à la question de Laure Adler, a répondu qu’il ne pouvait pas revoir son film. Aussi je suis reconnaissant à mon ami Christophe Binot de m’autoriser à publier ici le texte qu’il a écrit.

ON N’A JAMAIS VU ÇA COMME ÇA !

Dans le film Le fils de Saul (Grand Prix à Cannes 2015, Oscar du meilleur film étranger) du hongrois László Nemes on suit le héros de dos, la majorité du temps, en train de faire son travail. Sorti du contexte, on pourrait croire que c’est un documentaire sur une usine comme il en existe des milliers. Il y a des ouvriers qui triment dur, des chefs qui aboient, il fait chaud, les conditions de travail sont abominables, il faut tenir la cadence, il y a des accidents de « production ». La vie dans cet endroit ne tient qu’à un fil, par moment c’est la confusion la plus totale, et le fait de filmer caméra sur l’épaule, en suivant le héros, nous place à sa portée et ne nous permet jamais de prendre du recul : on est plongé dans cette action sans pouvoir jamais en sortir, on suffoque, on panique, on hallucine.

C’est HORS DE TOUTE LIMITE HUMAINE...

Ah oui, j’ai oublié de le dire, cette « usine » où le héros travaille c’est un camp d’extermination nazi qui s’appelle Auschwitz...

ON N’A JAMAIS FILMÉ ÇA COMME ÇA !

Âmes sensibles s’abstenir. Le parti-pris du metteur en scène est de montrer que l’enfer est un processus industriel, une manufacture de la mort. Depuis l’arrivée des « unités » (Stücke, « pièces », disaient les SS) par train, leur acheminement vers le vestiaire, leur passage dans la « douche » (la scène, où les « ouvriers » sont derrière la porte qui vient de se refermer et où l’on entend les malheureux qui tapent désespérément dessus pour sortir pendant qu’ils sont gazés, est d’une sobriété proprement terrifiante, ça glace le sang), en passant par le dégagement des corps à la main, leur transport sur des chariots par des monte-charges vers l’étage supérieur, leur crémation à travers des tubes chargeurs dans les fours, le ramassage des cendres en bout de chaîne, le transport de ces cendres dans des brouettes vers une rivière où elles seront dispersées à la pelle...

On suit le héros à chaque étape, mais l’horreur n’est jamais montrée frontalement, c’est comme un arrière plan un peu flou du quotidien de ces « ouvriers », C’EST COMME DANS UN CAUCHEMAR ! Y compris les « processus parallèles » : le nettoyage et la désinfection des chambres à gaz après le dégagement des corps pour accueillir le prochain « chargement », les « ouvriers » qui pellettent du charbon comme des malades en dessous des fours pour les alimenter, les « ouvrières » qui trient les vêtements et objets des victimes pour les stocker dans des entrepôts... C’est le kanban de la mort, le lean management de l’horreur, le just in time de l’enfer. Les spécialistes des abattoirs diraient que les propriétaires de « l’usine » exploitent au maximum la « filière » à leur disposition et tous ses produits dérivés. La déshumanisation est absolue.

ON N’A JAMAIS RESSENTI ÇA COMME ÇA !

Cette approche filmique nous laisse exsangue, abasourdi, vidé, hébété, lessivé et KO, cela éclipse tout ce qui a été dit ou montré avant, on est au cœur d’une machine infernale pensée et optimisée pour broyer, éliminer et génocider en suivant un planning à tenir. Quand un train non prévu arrive, c’est la panique : la chambre n’est pas nettoyée, le four est plein, alors il faut conduire tout le convoi à pied en dehors du camp vers des fosses où les personnes seront abattues par balles et brûlées au lance-flammes. Tout ceci est véridique, ces « ouvriers », les Sonderkommandos, choisis parmi les déportés, juifs aussi en majorité, étaient jusqu’à 900 à Auschwitz, ils participeront à l’éradication de 10 000 juifs par jour à certaines périodes, ils étaient eux-mêmes éliminés tous les 3 ou 4 mois, ils écriront ce qu’ils font et l’enterreront, ce sera découvert ensuite [1]. Ils se révolteront à la fin. En ces temps plus qu’obscurs, où des fous furieux rêveraient à nouveau de remettre ça avec des juifs, des chrétiens ou des musulmans de branches différentes de l’Islam que la leur, où des tarés congénitaux veulent nous faire croire que cela n’a jamais existé ou que c’est un « détail » de l’Histoire, il est vital de se rappeler qu’aucun animal connu n’est capable d’une telle violence et d’une telle barbarie envers une autre espèce, seul l’Homme a cette capacité...


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