Shttl est un film ukrainien du metteur en scène français Ady Walter, tourné en un seul plan-séquence, un beau noir et blanc qui vire parfois à la couleur pour quelques flash-back (on peut y voir une réminiscence du film de Ferenc Török La juste Route). La scène est dans la petite ville juive de Sokal au bord de la rivière Boug en Galicie. Dans ces régions où les Juifs parlent yiddish [1] ils nomment une telle agglomération un shtetl, privé dans le titre du film de son e en référence au livre de Perec La Disparition. Le shtetl a été entièrement reconstitué à proximité de Kiev pour les besoins du tournage, juste avant l’invasion russe. La synagogue en bois, décorée de peintures, est magnifique. L’action du film se déroule sur 24 heures, entre le matin du 21 juillet 1941 et l’aube du 22 juillet, lorsque les troupes de la Wehrmacht franchissent la rivière Boug où s’était fixée la ligne du partage de la Pologne entre Hitler et Staline.
Mendele et Yuna, la fille du rabbin, étaient amoureux. Mais après l’annexion par l’URSS en 1939 Mendele est parti étudier le cinéma à Kiev. Pendant son absence le rabbin s’est résigné à fiancer Yuna à Folye, le fils du boucher, un garçon vulgaire mais destiné à lui succéder.
Au matin de ce 21 juillet 1941, Mendele revient de Kiev pour enlever Yuna, avec la complicité d’un ami. Il est grand temps, les noces sont pour dans quatre jours. En attendant, il va revoir son père, avec qui les liens sont rompus depuis le suicide de sa mère, qu’il adorait. Et il circulera dans le village, ce qui donnera au metteur en scène l’occasion de nous dresser un tableau vivant de la population et de ses activités, de ses préoccupations.
Et la communauté juive de Sokal est traversée de conflits idéologiques : les traditionalistes, adeptes du hassidisme (variété juive de mysticisme), ont de plus en plus de mal à imposer le port du vêtement traditionnel et à réserver le travail aux femmes pendant que les hommes se consacrent exclusivement à l’étude de la Torah et du Talmud. Les femmes se révoltent contre cet ordre ancestral. Les hommes qui travaillent, artisans, commerçants, sont considérés comme d’une classe inférieure et méprisés : « comment peut-on avoir envie de débattre [de religion] avec un fils de boucher ? ». Les deux courants dissidents qui contestent le hassidisme sont le sionisme, qui préconise l’émigration en Palestine, et le communisme, qui connaît un regain d’influence depuis l’occupation de la région par les Soviétiques en 1939.
Mendele ira aussi voir le père de Yuna, qui regrette son départ vers Kiev, et son éloignement de la religiosité traditionnelle. Il y aura une altercation avec Folye et ses camarades Hassidim, et des frictions avec les militaires soviétiques qui tentent d’endoctriner la population avec une certaine brutalité.
Et au soir, c’est Shabbat [2], tout le monde se retrouve à la synagogue.
À la sortie de la synagogue le stratagème de Denyan (l’ami de Mendele) réussit et il s’enfuit dans la forêt avec Yuna et Mendele. Ils passent la soirée en riant et en buvant dans une cabane. Mais à l’aube, en allant se débarbouiller à la rivière, Mendele aperçoit les troupes allemandes qui se préparent à l’invasion. Il décide de retourner au shtetl pour donner l’alerte.
Sokal sera le premier shtetl envahi par la Wehrmacht. Aucun habitant ne survivra.
Dans ces régions de l’ancien royaume de Pologne, qui comprenait l’actuelle Biélorussie, les deux tiers de l’actuelle Ukraine, la Lituanie et plusieurs provinces de Russie [3], les communautés juives vivaient très repliées sur elles-mêmes, comme l’a fort bien décrit Olga Tokarczuk dans son roman Les Livres de Jakób, qui se déroule au XVIIIe siècle, et où le curé polonais et le rabbin font appel à un interprète pour pouvoir échanger leurs idées sur le texte biblique. En 1941 les choses avaient évolué, et vous entendrez parler yiddish, c’est-à-dire l’allemand du XIIIe siècle agrémenté d’apports hébreux et slaves, mais aussi ukrainien et russe.