Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Un livre de Jean Baubérot
Une si vive révolte
Une autobiographie sans narcissisme
Article mis en ligne le 2 mars 2014
dernière modification le 4 mars 2014

par Laurent Bloch

Jean Baubérot est mon ami depuis plus de quarante ans, mais ce n’est pas pour autant que son livre autobiographique Une si vive révolte (cf. le compte-rendu sur le site de l’éditeur) ne m’a rien appris de ses aventures ni de sa démarche, qui méritent d’être connues, même de celles et de ceux qui n’ont jamais rencontré l’homme, parce qu’elles parcourent un bon demi-siècle de notre histoire, en passant par la révolution algérienne, mai 1968, la libération des mœurs, les controverses autour de la laïcité et du port du voile, les réformes de l’université, etc.

Né d’un couple d’enseignants protestants limousins, on comprend que Jean a bénéficié d’un environnement familial assez rigoriste (quels parents ne l’étaient pas dans les années 1950-60 ?) mais finalement stimulant, et le fait qu’il en parle assez peu, discrétion compréhensible, est plutôt bon signe ; en tout cas ses parents ont fait ce qu’il fallait pour lui donner confiance en lui. De toute façon, dès la fin de l’enfance, il se montre assez peu enclin à l’obéissance, envers qui que ce soit, même comme gaucher contrarié. Comme le lui dira plus tard un de ses professeurs, « Baubérot, ce qui surprend chez vous, c’est que, quand vous devenez si insupportable qu’on va vous donner un coup de pied au derrière, vous avez déjà retiré vos fesses. » (p. 11).

Parmi les aptitudes du jeune Baubérot, outre la promptitude à retirer son postérieur de la trajectoire d’un pied ennemi, se manifeste très tôt celle de meneur, sans pour autant devenir chef au sens autoritaire du terme : cela lui sera utile longtemps, du poste de chef de meute de louveteaux aux Éclaireurs unionistes à celui de président de l’École pratique des hautes études (EPHE).

Très tôt, il ne supporte ni l’injustice ni les discriminations, ce qui le rapprochera successivement des juifs, de la révolution algérienne, des Palestiniens, et ce qui le contraindra à réfléchir aux moyens de concilier ces différents engagements. Ainsi, il luttera contre l’antisémitisme sans pour autant adhérer au sionisme, et son soutien aux Palestiniens ne l’empêchera pas de s’opposer, à Bagdad, aux propos antisémites de potentats irakiens. C’est en croisant cet itinéraire que je l’ai connu, et c’est un des fils conducteurs qui l’ont mené toute sa vie, par exemple à la commission Stasi de réflexion « sur l’application du principe de laïcité dans la République » (en fait sur le port du voile dans les établissements d’enseignement secondaire), où il refusera d’approuver la résolution finale en faveur de l’interdiction (position qu’il maintient malgré des allégations contraires entendues à la radio). Jean, aujourd’hui professeur émérite à l’EPHE, est depuis plus de vingt ans un spécialiste de réputation mondiale des questions de laïcité, et sur ce terrain il défend une vision tolérante de la laïcité, en opposition à ceux qui la transforment, par malignité ou par inconscience, en facteur de discrimination contre nos concitoyennes et nos concitoyens musulmans sous des prétextes vestimentaires. Il vaut la peine de lire les pages nuancées et érudites consacrées à ce sujet dans le livre.

J’ai beaucoup apprécié, vers la fin du livre (années 1990-2000), les analyses sociologiques (après tout c’est son métier !) des lourdeurs administratives (c’est un euphémisme) de la bureaucratie de l’Éducation nationale, que j’ai eu l’occasion de subir dans d’autres contextes.

À une époque où j’étais embarqué dans des idéologies sommaires, Jean Baubérot, de peu d’années mon aîné, fut au nombre de ceux grâce auxquels j’ai pu aller vers des formes de pensée moins rudimentaires, et ce livre sur son propre itinéraire m’a éclairé sur le mien. Je pense qu’il pourrait en être de même pour nombre d’entre les lecteurs de ce site. Il a un blog que je ne saurais trop vous conseiller.