Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Marcel Proust en Engadine
Article mis en ligne le 19 septembre 2019

par Laurent Bloch

Marcel Proust a voyagé en Engadine pendant l’été 1893 en compagnie de ses amis Montesquiou et La Salle. Son biographe G. D. Painter écrit : « Proust et La Salle firent en funiculaire l’ascension du Righi, et à pied celle de l’Alp Grün, apercevant des cimes les vagues perspectives bleues qui menaient en Italie... »

« Présence réelle

Nous nous sommes aimés dans un village perdu d’Engadine au nom deux fois doux : le rêve des sonorités allemandes s’y mourait dans la volupté des syllabes italiennes. À l’entour, trois lacs d’un vert inconnu baignaient des forêts de sapins. Des glaciers et des pics fermaient l’horizon. Le soir, la diversité des plans multipliait la douceur des éclairages. Oublierons-nous jamais les promenades au bord du lac de Sils-Maria, quand l’après-midi finissait, à six heures ? Les mélèzes d’une si noire sérénité lorsqu’ils avoisinent la neige éblouissante tendaient vers l’eau bleu pâle, presque mauve, leurs branches d’un vert suave et brillant. Un soir l’heure nous fut particulièrement propice ; en quelques instants, le soleil baissant fit passer l’eau par toutes les nuances et notre âme par toutes les voluptés.

...

Je ne t’avais jamais parlé, et tu étais même loin de mes yeux cette année-là. Mais que nous nous sommes aimés alors en Engadine ! Jamais je n’avais assez de toi, jamais je ne te laissais à la maison. Tu m’accompagnais dans mes promenades, mangeais à ma table, couchais dans mon lit, rêvais dans mon âme. Un jour - se peut-il qu’un sûr instinct, mystérieux messager, ne t’ait pas avertie de ces enfantillages où tu fus si étroitement mêlée, que tu vécus, oui, vraiment vécus, tant tu avais en moi une présence réelle ? - un jour (nous n’avions ni l’un ni l’autre jamais vu l’Italie), nous restâmes comme éblouis de ce mot qu’on nous dit de l’Alpgrun : “De là on voit jusqu’en Italie”. Nous partîmes pour l’ Alpgrun, imaginant que, dans le spectacle étendu devant le pic, là où commencerait l’ Italie, le paysage réel et dur cesserait brusquement et que s’ouvrirait dans un fond de rêve une vallée toute bleue...... »

Marcel Proust (Les Plaisirs et les Jours - Les regrets - Rêveries couleur du temps - XXII ) - Vous pourrez lire ici le texte intégral de Les Plaisirs et les Jours.