Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez ont publié Pour une révolution fiscale voici quelque temps au Seuil dans la collection La République des idées ; ils y proposent « Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle », ainsi qu’un site Web qui offre à l’internaute des données supplémentaires ainsi qu’un simulateur qui permet à tout un chacun d’élaborer la politique fiscale de son choix.
C’est un livre hautement recommandable, qui constitue même une brève initiation aux notions économiques élémentaires ; comme il est suffisamment bref pour que vous le lisiez vous-même, plutôt que d’en faire un résumé, je vais en extraire quelques informations dont le rapprochement est éloquent, que l’on n’a pas toujours à l’esprit, et qui peuvent aider à s’orienter dans les discussions actuelles, à propos desquelles on pourra aussi consulter un excellent article de
Michel Volle.
Production, revenus, patrimoine
Le produit intérieur brut (PIB)
français fut en 2010 de 1 950 milliards €, à comparer aux
1 030 milliards du PIB 1990, en euros courants. Les valeurs en
euros 2005, c’est-à-dire corrigés de l’inflation pour être
comparables, sont 1 776 milliards € en 2010 contre 1 305 en
1990, cf. les chiffres de
l’INSEE,
et la série
longue
(p. 19).
Le revenu national 2010, soit le PIB diminué de la dépréciation du
capital (280 milliards €) et augmenté du solde des revenus en
provenance ou à destination de l’étranger (+10 milliards €), fut de
1 680 milliards €, soit un revenu annuel moyen (flux) de 33 000 €
pour chacun des 50,4 millions d’adultes résidant en France (p. 20). Pour une comparaison internationale du RNB de différents pays on consultera avec profit cet autre article de Michel Volle.
D’après l’INSEE et la Banque de France, les résidents français
possédaient en 2010 environ 9 200 milliards d’euros de
patrimoine,
financier et non financier, net de dettes, soit en moyenne
plus de 182 000 € par adulte (stock), soit près de six années de
revenu moyen. Ce patrimoine total se partage en deux parts
pratiquement égales : le logement d’une part, les actifs financiers et
professionnels d’autre part (qui représentent grosso modo la valeur
des entreprises) (p. 22). Ce niveau de patrimoine par rapport au
revenu est le double de celui des années 1950, il est à peu près égal
à celui d’avant la guerre de 1914.
Ce patrimoine est inégalement réparti : des 50 millions d’adultes, la moitié
la moins favorisée (les classes populaires) possèdent 4%, les 40% du milieu
(les classes moyennes) possèdent 34%, les 10% les plus riches (les classes
aisées) possèdent 62%. Parmi les 5 millions de Français aisés, les 500 000
les plus aisés détiennent 24% du patrimoine (p.25).
Il y a un siècle, la situation était différente : les 10% les plus riches possédaient
90% du patrimoine, les 40% du milieu étaient presque aussi pauvres que les
50% du bas. L’émergence d’une classe moyenne qui possède un tiers du patrimoine
national est une évolution historique considérable (p. 26).
Le patrimoine est un stock, qui engendre un flux de revenus. Il
convient d’inclure dans ces revenus la valeur locative des
habitations, parce que le loyer que ne paie pas le propriétaire de son
logement équivaut à un revenu (p. 29). Les revenus du capital ainsi définis
représentent 25% du revenu national, soit un rendement moyen du
capital avant impôt de l’ordre de 4 à 4,5%. Les revenus du travail
constituent le reste du revenu national, soit 75%.
Après la répartition du patrimoine au sein de la société, considérons
celle du revenu : les 50% les moins riches en perçoivent 27%, ce qui
correspond à un revenu annuel moyen de 18 000 € ; les 40% « du
milieu » 42%, soit un revenu annuel moyen de 35 000 € ; les 10%
les plus riches 31%, soit un revenu annuel moyen de 103 000 € ;
et parmi ces derniers, les 1% très aisés perçoivent 11% des revenus,
soit un revenu annuel moyen de 363 000 € (p. 33).
Impôts et prélèvements
Les prélèvements (p. 42) obligatoires représentent 49% du revenu national,
soit 9% pour les impôts sur le revenu, 4% pour les impôts sur le capital,
13% pour les impôts sur la consommation et 23% pour les cotisations sociales.
Tous ces prélèvements sont, in fine, acquittés par les personnes
physiques. En effet les impôts payés par les entreprises sont
répercutés par celles-ci sur celles-là, soit sous forme de réduction
des salaires ou des dividendes, soit sous forme d’augmentation des
prix (p. 36).
Impôts sur le revenu
Les impôts sur le revenu sont l’impôt sur le revenu des personnes physiques
(IRPP) et la Contribution sociale généralisée (CSG).
L’IRPP est un impôt déclaratif (le contribuable déclare les revenus
soumis à l’impôt), progressif (les prélèvements sur les hauts revenus
sont plus élevés, 41% sur la dernière tranche, que sur les revenus
faibles, 5,5% sur la première tranche) et appliqué au « foyer fiscal
», c’est-à-dire, dans la France des années 1950, le mari, l’épouse et
mère, et leurs enfants à charge. Dans la France des années 2010, la
notion de foyer fiscal devient problématique, avec les familles
recomposées, le PACS, la cohabitation, l’adoption par des
célibataires, l’homoparentalité... La complexité de cette notion de
foyer fiscal est une des raisons pour lesquelles l’IRPP est un impôt
qui coûte très cher à réglementer, à asseoir, à calculer, à recouvrer
et à contrôler (communication personnelle d’un haut cadre de la
Direction générale des Finances publiques). En 2010, l’IRPP a rapporté
52 milliards €, soit 3% du revenu national.
La CSG est un impôt prélevé à la source sur la base des informations
fournies par les organismes à l’origine des revenus (employeurs,
banques, notaires...), proportionnel (le taux est uniformément de 8%)
et individuel. Elle s’applique à toutes les sources de revenus, par
opposition à l’IRPP pour lequel existent de nombreuses exonérations,
notamment pour certains revenus du capital. En 2010, la CSG a rapporté
94 milliards €, soit 6% du revenu national.
Il y a donc l’IRPP, un impôt cher, peu rentable, complexe et injuste, et la
CSG, un impôt moderne, rentable, simple et qu’il suffirait de rendre
progressif pour qu’il puisse avantageusement remplacer l’IRPP : c’est le
cœur de la proposition de réforme des auteurs.
Impôts sur le capital
Ce sont l’impôt sur les bénéfices des sociétés, la taxe foncière, l’impôt
sur la fortune et les droits de successions et de donations. Ils rapportent
plus de 60 milliards €, soit 4% du revenu national, ce qui représente
l’équivalent d’un taux d’imposition moyen d’un peu moins de 20% sur
les revenus du capital (p. 45).
Impôts sur la consommation
Ce sont la TVA et les autres impôts indirects, ils rapportent 270
milliards €, soit 13% du revenu national. Ils sont par nature régressifs,
parce que les gens les moins riches, qui n’ont pas les moyens d’épargner,
consacrent à la consommation la quasi-totalité de leur revenu disponible,
à l’inverse des gens plus aisés. La notion même de « TVA sociale » est
un oxymore.
Cotisations sociales
Elles représentent 380 milliards €, soit 23% du revenu national (p. 47) ; elles
servent à financer des revenus de remplacement (retraite, allocations
chômage), mais aussi des dépenses d’assurance maladie et d’allocations
familiales.
Notre système fiscal est-il progressif ou régressif ?
Landais, Piketty et Saez ont envisagé la population âgée de 18 à 65
ans travaillant au moins à 80%, ils l’ont répartie par tranches en
fonction des revenus avant impôt, tant du travail que du capital, et
ils ont calculé le taux d’imposition effectif par tranche (cf. pour
les détails le site du livre).
Les résultats qu’ils obtiennent sont les suivants (p. 49) : les 50%
des Français aux revenus les plus bas (entre 1 000 et 2 200
€ bruts par mois) sont imposés en moyenne à 45% ; les 40% « du milieu »
(entre 2 300 et 5 100 € bruts par mois) sont imposés en
moyenne entre 48% et 50% ; les taux effectifs sont très stables, entre
45% et 50%, pour les 80% de la population qui ont des revenus compris
entre 1 700 et 6 900 €. Puis le taux effectif d’imposition
décroît rapidement, pour atteindre 35% pour les 0,1% les plus aisés.
Les auteurs déduisent de cet état de fait la faillite du système
fiscal français, et proposent de le réformer : le point central de
leur projet est la suppression de l’IRPP et de la CSG sous leur forme
actuelle, et leur remplacement par un impôt individuel et progressif
qui aurait la même assiette et le même mode de prélèvement que la CSG.
Le système de prestations familiales et de quotient familial est aussi
dans leur ligne de mire : s’il aboutit pour 90% des familles à une
allocation mensuelle effective nette de l’ordre de 175 € par enfant,
pour les 10% des revenus les plus élevés le transfert net augmente
fortement, jusqu’à 400 € (p. 103). Ils proposent de remplacer l’ensemble
de ces dispositifs par un crédit d’impôt de 190 € mensuels par enfant.
On s’étonnera enfin que ces réformateurs audacieux et inspirés ne disent rien de la TVA, l’impôt le plus injuste et qui rapporte le plus.
La lecture de cet ouvrage stimulant ne saurait être trop recommandée,
les explications y sont bien sûr plus complètes que le bref résumé donné
ici. Les propositions sont séduisantes : inutile de préciser que leur mise
en œuvre demanderait un courage politique et des efforts de pédagogie
dont les stocks disponibles dans notre beau pays semblent totalement
insuffisants pour un tel objectif.