Blog de Laurent Bloch
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Un film de Mohamed Kordofani :
Goodbye Julia
Guerre et racisme au Soudan
Article mis en ligne le 22 novembre 2023
dernière modification le 23 novembre 2023

par Laurent Bloch

La scène est à Khartoum, capitale du Soudan, en 2005. Le pays est indépendant depuis 1956, mais dès 1955 les habitants du sud du pays, Noirs, chrétiens et animistes, se sont insurgés pour refuser leur intégration au nouvel État dominé par les populations blanches et musulmanes du Nord. Les Blancs du Nord ont toujours considéré les Noirs du Sud et de l’Ouest (Darfour) comme des inférieurs qu’ils ne se sont jamais privés de réduire en esclavage. La haute vallée du Nil a été une plaque tournante de la traite esclavagiste du Moyen-Âge à la fin du XIXe siècle.

Cette première guerre civile, après plusieurs centaines de milliers de morts, peut-être un million, a pris fin en 1972 par les accords d’Addis Abeba qui accordaient une autonomie partielle au Sud. En septembre 1983 le général Gaafar Nimeiry impose la loi islamique à l’ensemble du Soudan, ce qui déclenche la seconde guerre civile, qui prend fin officiellement en 2005, après deux millions de morts, par l’octroi de l’autonomie au Sud, mais la mort du leader sudiste John Garang dans un « accident » d’hélicoptère le 30 juillet 2005 déclenche des émeutes dans tout le pays, y compris à Khartoum, cependant qu’éclate un autre soulèvement armé dans le Darfour. Le film commence pendant ces émeutes. Les Noirs sudistes s’en prennent aux Blancs musulmans, qui bénéficient du soutien et éventuellement de la complicité de la police et de l’armée.

C’est dans le contexte de ces émeutes de 2005 que commence le film de Mohamed Kordofani. Une jeune femme blanche, au volant de sa voiture, est poursuivie par un Noir en moto, pour une raison que je ne dévoile pas ici mais qui est très claire ; lorsqu’elle arrive devant chez elle son mari sort avec un fusil et tue le Noir. Avec la complicité des policiers du commissariat voisin, le cadavre est évacué avec ceux des victimes des émeutes, le dossier classé et l’affaire enterrée.

Toujours pour la même raison que je ne puis dévoiler, la jeune femme dont il est question, Mona, se met à la recherche de la veuve, Julia, de l’homme abattu par son mari. Julia ignore tout du sort de son mari, elle croit qu’il est parti ou qu’il a été victime des émeutes. Mona entre en relation avec elle, l’embauche comme bonne, inscrit son fils à l’école privée (chère) du quartier, l’accompagne à l’église, chante avec elle dans la chorale.

La seconde période du film se situe en 2011 : lors d’un référendum, la population du Sud vote à une écrasante majorité pour la sécession et l’indépendance. La vérité se fera sur tous les événements cachés de l’histoire de Julia et de Mona. Le film se clôt sur le bateau qui remonte le Nil avec à son bord Julia, qui gagne son nouveau pays, cependant que son fils Daniel, enfant-soldat, s’embarque pour la nouvelle guerre civile qui va à nouveau faire des dizaines de milliers de morts entre deux factions du Soudan du Sud.

Dans une interview à Jeune Afrique le réalisateur Mohamed Kordofani explique qu’il est né à Khartoum dans un milieu très conservateur dont il a partagé dans sa jeunesse les préjugés racistes et patriarcaux exposés dans son film. C’est en voyageant à l’étranger qu’il a pris ses distances, et il a voulu donner un portrait sans complaisance de l’histoire particulièrement tragique de son pays.


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