Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Racisme
Une parole libérée
Article mis en ligne le 8 octobre 2018
dernière modification le 12 juillet 2023

par Laurent Bloch

Cet article a une suite.

Depuis plusieurs années maintenant la parole raciste s’amplifie et souvent passe à l’acte, en France et dans d’autres pays d’Europe. Ailleurs aussi, mais je ne suis guère en mesure d’en parler, alors que pour la France je me dois d’en parler. Quelques articles de ce site ont déjà abordé la question, notamment ce compte-rendu d’un livre de Daniel Sibony (dont par ailleurs je n’approuve pas forcément toutes les positions) et celui d’un livre de Todd Shepard dont le travail porte sur les répercussions de la guerre d’indépendance algérienne sur la société française.

Idées reçues

Pour commencer il convient d’écarter quelques thèses erronées :

 Le racisme n’est pas une invention des capitalistes perfides pour détourner le ressentiment des masses appauvries sur un bouc émissaire, et il est injuste d’attribuer ce truisme à Marx, quelque appréciation que l’on ait de sa pensée. Cette idée dérive de Rousseau : l’humain serait enclin au bien, sans une organisation politique vicieuse ; instaurer une organisation politique juste supprimerait le mal. Il semble bien, hélas, que le mal soit inhérent au monde humain, comme le bien d’ailleurs, et que les tentatives de suppression du mal débouchent surtout sur des massacres d’opposants politiques ou sociaux.

 Cette thèse du bouc émissaire, due pour l’essentiel à Émile Durkheim et à Sigmund Freud, a été brillamment réfutée par la thèse de doctorat de Guillaume Erner. Elle est d’autant plus populaire qu’elle est erronée, sans doute parce qu’elle est très compatible avec l’idéologie communiste et avec ses différents avatars contemporains : le peuple est sain et bon, si l’on observe en son sein des manifestations de racisme, ce ne peut être que le résultat de manigances bourgeoises.

 Le racisme se distingue de l’antijudaïsme chrétien du Moyen-Âge, ou de l’antijudaïsme musulman, qui stigmatisent l’infidèle pour sa religion, pas pour son être. Le racisme moderne, apparu à la fin du XIXe siècle, trouve ses racines dans la sécularisation des sociétés européennes et dans les conquêtes coloniales, au XVIe siècle, avec les débats autour de l’idée assez nouvelle d’homme universel. Le livre de Tzvetan Todorov Nous et les autres [1] donne de ces aventures intellectuelles un tableau d’une grande richesse.

 Le racisme diffère de la xénophobie ordinaire, qui a frappé par exemple les travailleurs italiens en France au début du XXe siècle ; la passion raciste possède une dimension mythique, à composantes religieuse et sexuelle, absente des formes d’ostracisme subies par des populations étrangères mais de même religion et issues de la même civilisation que la population majoritaire. L’immigrant italien ou portugais peut être détesté, mais il ne peut pas vraiment être un Autre suffisamment autre. Le Martiniquais aura beau être catholique et électeur français, la couleur de sa peau, l’histoire de l’esclavage et sa culture en font un Autre.

 Subir une humiliation, recevoir une une insulte pour un caractère contingent de son existence, origine sociale ou géographique, mode de vie, peut être très destructeur, mais ce n’est pas la même chose que de se voir refuser l’appartenance à l’humanité : or le raciste, au fond, sous des formes apparemment presque anodines parfois, refuse au racisé la qualité d’être humain.

 Cette dimension religieuse et sexuelle du racisme a sans doute des racines dans l’angoisse sexuelle et dans l’angoisse eschatologique du raciste, qui se sent menacé dans son être par l’Autre, mythique, auquel il prête des pouvoirs surnaturels. Et plus cet Autre est proche, plus il est menaçant.

La passion raciste est inhérente à l’individu raciste, elle prend source à un malaise de son être propre, l’être de sa victime n’est pas en cause. C’est pourquoi il n’existe pas, par exemple, d’individu qui serait raciste à l’égard des Noirs mais pas des Arabes : pour un tel personnage, son racisme s’exercera contre quiconque lui semblera, par son être, représenter une menace pour son être à lui (cf. Sibony). Comme le disait fort bien Frantz Fanon, « c’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : “quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous”. » (Peau noire, masques blancs, 1952).

Le racisme est une maladie ontologique, et la victime d’un raciste (d’un groupe raciste) ne peut espérer en abolir le racisme par une modification de son être, à supposer qu’une telle transformation soit possible.

Libération de la parole raciste

Le raciste est atteint d’une maladie de l’âme, il est peu assuré dans son être, de ce fait il est lâche et pusillanime. Pour exprimer ouvertement son racisme, voire pour passer à l’acte, il lui faut un rapport de forces favorable, au milieu d’une foule de ses semblables, ce qui lui permet de chasser en meute, c’est la logique du lynchage. Et, surtout, recevoir une bénédiction émise en haut lieu. C’est pourquoi le rôle des dirigeants, des autorités morales et politiques, est déterminant : Emmanuel Todd avait déjà relevé (dans La Nouvelle France, Seuil, 1988, p. 271) que le racisme avoué était plus fréquent à Marseille qu’à Lyon, où l’influence de l’Église catholique et de la grande bourgeoisie restait assez prégnante. De ce point de vue les prises de position de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Intérieur ont été particulièrement nuisibles : parler de nettoyer les banlieues au karcher, assigner aux forces de police des missions de répression brutale sans discernement, et mettre tout cela en application lors des émeutes de 2005 s’est révélé très néfaste [2]. La situation n’était sans doute pas idyllique partout, mais elle a accentué dans certaines banlieues entre la population et les autorités de la République une césure sans doute préexistante, mais désormais béante, et dont on ne sait comment la combler. Quand de jeunes Noirs ou Arabes se font contrôler par la police dans le RER trois fois par semaine parce qu’ils sont trop bronzés, comment espérer qu’ils entonnent La Marseillaise lors du prochain match au Stade de France ? Et pourtant, la France est championne du monde de football, en partie grâce à eux. Saluons au passage cette équipe si collective, si altruiste, lors d’une coupe du monde qui a vu l’élimination sans appel des équipes construites autour d’une vedette à qui tout était dû, Portugal, Brésil, Argentine, Angleterre... Salut aussi à la belle équipe de Belgique.

La campagne présidentielle de 2017 a été une autre étape de l’essor de la parole raciste : dès lors que Marine Le Pen, mais aussi quelques autres, y compris des journalistes, tenaient des propos racistes ou xénophobes tous les jours à la télévision, pourquoi l’homme de la rue devrait-il s’en retenir ? Il existe une petite minorité de racistes passionnés, fanatiques, obsédés, et une population beaucoup plus large de gens qui, sans être viscéralement racistes, sont sensibles à l’air du temps et prêts à suivre le troupeau, pour peu qu’un mauvais berger l’entraîne. C’est comme une maladie contagieuse : le racisme habite la société française de façon endémique, il y a quelques cas virulents, ce sont des idées qui circulent à bas bruit mais constamment, c’est pourquoi nul n’est à l’abri de s’entendre prononcer une réflexion idiote, une idée déplacée entendue et répétée sans trop y réfléchir, mais qui sera très blessante pour celui qui la recevra comme une marque de racisme à son égard. Et, périodiquement, une épidémie se déclenche, affaire Dreyfus, années 1930-1940, guerre d’Algérie, années 1970. Il semble qu’une épidémie soit en cours, je vois, j’entends, je lis des choses qui n’auraient pas été possibles il y a quelques années. Il semble que ce soit un problème européen. L’Europe doute d’elle-même en ce moment, Brexit, Viktor Orban, Jarosław Kaczyński, faiblesse d’Angela Merkel : c’est de mauvais augure, il faudrait se mobiliser pour les élections européennes...

Fantasmes autour des migrations

La libération de la parole raciste est venue se combiner avec les fantasmes entretenus autour d’une soit-disant vague migratoire, qui n’est pas venue et qui ne viendra jamais. Il est frappant à ce propos de voir comment, malgré l’unanimité des démographes, politistes, économistes et sociologues, les hommes politiques et les journalistes continuent à débiter des contre-vérités. Pour mémoire :

 La répression des manifestations populaires en Syrie et la situation dramatique de guerre qui en a résulté a bien entraîné des déplacements de population massifs à l’intérieur et à l’extérieur des frontières du pays : le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) comptait à la mi-2015 7,6 millions de réfugiés Syriens, nous apprend Hervé Le Bras [3], mais les plus nombreux restent le plus près possible de chez eux, dans le désir d’y revenir le plus tôt possible, soit dans des régions plus calmes de Syrie, soit dans les pays limitrophes (Liban, Jordanie, Turquie). Et si tragique que soit le sort de ceux qui tentent la traversée de la Méditerranée, ils ne sont qu’une petite proportion de l’ensemble (ce qui rend d’autant moins excusable le refus de la France d’accueillir ces effectifs très faibles). Depuis deux ans les flux de réfugiés sont revenus à leur niveau antérieur à 2011, c’est-à-dire faible.

 Des démographes amateurs [4], sur la base de calculs faux sur des données mal comprises, menacent les « Européens » d’être submergés par les migrations subsahariennes. François Héran a réfuté cette thèse hasardeuse. « L’Afrique subsaharienne devrait représenter 22 % de la population mondiale vers 2050 au lieu de 14 % aujourd’hui. Le nombre de migrants originaires de cette région devrait donc augmenter. Mais de combien et vers quelles destinations ? ... Ces annonces fracassantes (de Stephen Smith, n.d.r.) reposent sur un modèle de vases communicants qui méconnaît trois données de base : 1/ comparée aux autres régions, l’Afrique subsaharienne émigre peu, en raison même de sa pauvreté ; 2/ lorsqu’elle émigre, c’est à 70 % dans un autre pays subsaharien et à 15 % seulement en Europe, le reste se répartissant entre les pays du Golfe et l’Amérique du Nord ; 3/ si l’on intègre la croissance démographique projetée par l’ONU, les migrants subsahariens auront beau occuper une place grandissante dans les sociétés du Nord, ils resteront très minoritaires : tout au plus 3 % à 4 % de la population vers 2050 – très loin des 25 % redoutés. »

La lecture des travaux de Catherine Wihtol de Wenden, spécialiste des migrations internationales au Centre de recherches internationales de Sciences Po., par exemple La question migratoire au XXIe siècle aux Presses de Sciences Po., conduit, par des analyses différentes et complémentaires, à des conclusions semblables. De même pour le livre d’El Mouhoub Mouhoud L’Immigration en France - Mythes et réalité, chez Fayard.

Les démographes amateurs aiment bien l’indice de fécondité, celui qui vaut, par exemple pour la France en 2014, 1,97 enfants par femme : c’est une notion intuitive facile à comprendre, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit non pas d’un fait, mais d’une projection, qui repose sur l’hypothèse que les femmes qui ont 20 ans aujourd’hui auront à 40 ans, par exemple, le même nombre d’enfants que celles qui ont 40 ans aujoud’hui. Cela peut sembler raisonnable pour un pays comme la France qui a effectué sa transition démographique depuis longtemps, ce ne l’est pas du tout pour les pays africains en pleine transformation sociale et démographique. Si on veut avoir des informations fiables sur les migrations internationales, on peut par exemple visiter le site de l’INED, ou celui de l’Organisation internationale pour les migrations, ou encore celui de l’OCDE. Bref, si on veut savoir l’information ne manque pas, et l’ignorance volontaire de journalistes a priori honnêtes reste un mystère.

Il m’est difficile de m’étendre plus longuement sur ce sujet ici, mais tous les délires sur le grand remplacement et les invasions africaines ne sont que des élucubrations dépourvues de tout fondement scientifique, utilisées par des idéologues racistes que les télévisions et la presse jugent utile de nous servir à longueur de journée.

Rokhaya Diallo et l’hypothèse du « racisme anti-blanc »

Rokhaya Diallo est une journaliste française, réalisatrice, écrivaine et militante anti-raciste. Elle a relevé qu’en prétendant défendre la laïcité, certains publicistes oubliaient les termes de la « loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État » qui impose la neutralité à l’État, mais autorise les citoyens à manifester leurs croyances, y compris publiquement (pèlerinages, processions, prières publiques, etc.). En outre, ces publicistes réservent leur contestation à la religion musulmane, sans être le moins du monde gênés, par exemple, par la présence de crucifix aux murs des écoles publiques d’Alsace et de Moselle. Cette indignation sélective suggère à tout le moins un parti-pris à l’encontre de la religion musulmane et de ses adeptes. Rokhaya Diallo a donc entrepris de combattre ces manifestations de ce qu’il faut bien appeler une hostilité sélective contre les Musulmans, qui chez certains peut glisser jusqu’à du racisme à l’égard des populations musulmanes d’origine supposée arabe ou africaine (il suffit de visiter un quart d’heure Twitter et Facebook pour vérifier que ce glissement n’est pas une pure hypothèse d’école).

Ces positions militantes et d’autres ont valu à Rokhaya Diallo une avalanche de critiques plus ou moins honnêtes, quand ce n’est pas de grossières attaques ad hominem, notamment, pour ce qui nous concerne ici, l’accusation de « racisme anti-blanc ». Elle a donné à cette accusation une réponse dont je cite ici deux paragraphes particulièrement significatifs :

 « Jamais les Blancs n’ont été visés en tant que groupe blanc par des politiques oppressives au profit de minorités non blanches et ce du seul fait de leur couleur. Jamais ils n’ont fait l’objet de théories raciales faisant d’eux des êtres inférieurs et se traduisant dans des pratiques institutionnelles. Certes des Blancs étrangers peuvent être exposés à la xénophobie, des Blancs ont été réduits à l’esclavage par le passé, des Blancs juifs ont vécu la tragédie du génocide et du racisme. »

 « Le fait d’être Blanc n’est un désavantage ni en France, ni dans la plupart des pays (y compris en Afrique où les Blancs dominent les Noirs sur le plan économique et social). Les préjugés contre les Blancs, se caractérisent par le fait qu’ils sont un vécu individuel : chez les personnes blanches, il n’existe pas de sentiment collectif d’oppression. »

Ces assertions peu contestables remettent en place les idées perturbées par des polémistes aussi virulents qu’ignorants ou de mauvaise foi. Je renvoie le lecteur à l’article intégral pour les précisions et les nuances utiles à la pleine compréhension des idées de Rokhaya Diallo.

Ce point de vue peut être contesté par celui de Tarik Yildiz, d’abord publié sous forme d’article intitulé Ne pas parler du racisme anti-blanc : un déni de réalité sur Terre d’Avenir, le site Internet de la communauté d’agglomération la Plaine Commune, en partenariat avec le Bondy Blog, le mercredi 3 novembre 2010, puis sous une forme plus développée en 2018 aux Éditions de Puits de Roulle sous le titre Le racisme anti-blanc - Ne pas en parler : un déni de réalité.

Traik Yildiz a mené une enquête auprès de Français d’origine majoritaire dans plusieurs villes de la banlieue parisienne, où ils se sont trouvés minoritaires, notamment des collégiens, lycéens et leurs familles, ainsi que des enseignants de ZEP, mais aussi auprès de Musulmans qui refusaient le strict respect des règles coraniques, telles que le jeûne du Ramadan et le refus de boire de l’alcool et de manger du porc. Tous ces gens ont été sévèrement harcelés par leur entourage majoritairement musulman, les collégiens victimes de brimades sévères, voire de véritables lynchages, certains contraints au déménagement.

Expérience personnelle

Il se trouve que je sais ce que c’est que de subir personnellement le racisme. L’épisode le plus pénible fut au lycée. Pendant mes années de 5ème et de 4ème je fus harcelé par deux condisciples pendant toutes les récréations, ce qui, comme j’étais demi-pensionnaire, comprenait la longue récréation de midi. Le harcèlement comportait agressions physiques, menaces, insultes, remarques blessantes, humiliations diverses. Mes harceleurs n’étaient pas issus de milieux défavorisés, qui d’ailleurs à l’époque n’accédaient pas au lycée (qui commençait en 6ème) : le « penseur » était fils de deux instituteurs socialistes, le « gros bras » était le fils d’un directeur d’usine, issu de la bourgeoisie catholique du Nord, telle que décrite par le film La vie est un long fleuve tranquille d’Étienne Chatiliez (1988).

Je pense que ces deux enfants (à l’époque on devenait adolescent en classe de seconde) n’étaient pas viscéralement racistes : simplement, ils avaient observé que j’étais vulnérable et décidé de me harceler, et comme ils savaient que j’étais juif, ils ont trouvé que m’assaillir de propos antisémites me ferait suffisamment mal. Ils se sont vite rendu compte que ce harcèlement antisémite accompagné d’agressions physique donnait les effets les plus puissants, alors ils ont accentué leur action en ce sens, sans préjudice d’autres leviers de brimade.

Je n’ai jamais osé me plaindre à qui que ce soit, surtout pas à mes parents. Ces deux années furent un véritable calvaire auquel je ne voyais aucun moyen d’échapper. Cet épisode douloureux a certainement eu des effets sur ma vie ultérieure. Il est certes probable que cette vulnérabilité avait des racines dans ma vie antérieure : les harceleurs savent choisir leurs victimes, ce qui prouve leur lâcheté.

Deux ans plus tard, après des vacances organisées en Allemagne de l’Est où j’avais aussi rencontré l’antisémitisme [5] (de la part de mes co-vacanciers français, pas des Allemands), j’ai cru brièvement à une « solution » de ce problème : Israël, un État juif. Mais un peu plus tard, à la fin de la classe de Math. Élém., j’ai appris l’existence de la résistance palestinienne, la guerre d’Algérie encore récente m’avait convaincu du caractère irréductiblement mauvais du colonialisme. Exit l’issue sioniste, heureusement. Encore un an, et en Maths. Sup. je suis devenu maoïste, ce que j’interprète rétrospectivement comme une réaction de révolte contre ce que j’avais subi quelques années plus tôt. Ma vie affective n’a pas non plus été franchement améliorée par ces épisodes.

Polémique autour du livre Sexe, race et colonies

Le livre Sexe, race et colonies - La domination des corps du XVe siècle à nos jours (éd. La Découverte), dirigé par Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Dominic Thomas et Christelle Taraud fait l’objet depuis sa parution de débats selon deux axes. Le premier axe concerne la présence, parmi les documents présentés au lecteur, de textes et d’images violemment racistes, notamment une trentaine de photos pornographiques. Plusieurs militants de la cause anti-raciste se sont déclarés hostiles à cette publication, sans véritable motivation scientifique, dans le cadre d’une édition commerciale destinée à un large public.

Le second axe de débat autour du livre émane d’historiens qui contestent l’importance des représentations et fantasmes sexuels dans l’idéologie coloniale et raciste. Là, je crois pouvoir renvoyer ces historiens au livre de leur collègue Todd Shepard Mâle décolonisation : à l’intersection entre sexualité, empire colonial et pensée raciale, qui met au jour et exhibe la présence souterraine, tacite, mais massive de l’impensé sexuel associé au racisme, et indissociable de lui. Outre que ce livre est un point d’appui de mon propos, le fait qu’il faille, encore une fois après Robert Paxton, un auteur américain pour inventorier nos turpitudes nationales montre que la conception française de l’égalité entre les hommes, à côté de ses immenses qualités, possède son revers de la médaille : une très grande difficulté à appréhender l’altérité. C’est un peu comme lorsqu’Emmanuel Todd a publié Qui est Charlie ? : la plupart de mes amis arabes et juifs ont approuvé le propos de ce livre, qui a valu à son auteur l’exécration générale de l’intelligentsia française, comme s’il y avait des choses qui lui étaient irrémédiablement hermétiques.

Cet article a une suite.