par Laurent Bloch
Il faut voir ce film, tourné avant les événements qui font la une de tous les médias depuis le 7 octobre. Tout le monde sait maintenant que la bande de Gaza est un territoire plus petit que le canton de Melle (Deux-Sèvres), où vivent plus de deux millions d’habitants dans des conditions d’une extrême précarité que les bombardements israéliens actuels ne font qu’aggraver.
On voit que déjà au moment du tournage de nombreux immeubles ne sont plus que des tas de gravats, beaucoup d’habitants vivent dans des sortes de bidonvilles. Pour gagner leur vie beaucoup vont travailler en Israël, et pour ce faire ils sont soumis à des attentes interminables aux checkpoints de la ligne de démarcation. Gaza est au bord de la Méditerranée, mais les pêcheurs n’ont pas le droit de s’éloigner de plus de deux miles nautiques du rivage, ce qui limite considérablement leurs prises, sans les mettre à l’abri des attaques arbitraires de la marine israélienne. Les cultivateurs ne sont pas mieux lotis : si leurs champs sont trop près de la ligne de démarcation, les sentinelles israéliennes ne se privent pas de leur tirer dessus, sous prétexte de déplacements suspects.
Et l’on voit des images des « marches du retour », où des jeunes excédés par cet enfermement s’approchaient sans armes de la ligne de démarcation : alors les soldats israéliens leur tiraient dessus avec des munitions interdites par la convention de Genève, en visant les genoux. Le chirurgien Christophe Oberlin, qui opère et enseigne à Gaza, explique qu’après de telles blessures on peut passer le poing à travers le genou, c’est irréparable, la seule solution est l’amputation. On voit jouer des équipes de football d’adolescents unijambistes.
On comprend qu’une population maintenue dans de telles conditions soit au bord de l’explosion, et qu’elle ait accueilli avec enthousiasme l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre : comment en serait-il autrement ? La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris, ne proclame-t-elle pas « qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression ? ». La tyrannie et l’oppression sont bien là, le régime de droit n’existe pas, alors la révolte est légitime. J’ai écrit ailleurs mon sentiment sur ce qui s’est passé le 7 octobre, je me garderai bien d’identifier le peuple palestinien au Hamas, mais son adhésion à ses actes est bien compréhensible, puisque ce sont les seuls actes de lutte contre l’oppression, et qu’ils ont rappelé l’existence des Palestiniens à un vaste monde qui n’était que trop pressé de les oublier.
Cela dit, ce qui est revigorant dans ce film, c’est de voir que dans ces conditions extrêmement dures les Palestiniens de Gaza continuent avec énergie de faire société, d’avoir des activités artistiques, de danser dans les immeubles en ruines, d’en peindre les murs ; une jeune femme donne des cours de français dans une université, sa prononciation est parfaite, elle enseigne à ses étudiants les subtilités de nos adjectifs démonstratifs, on a un peu honte d’avoir une langue si difficile pour les étrangers qui malgré tout s’efforcent de l’apprendre.
Il est également encourageant d’entendre dans le film des intellectuels et militants israéliens manifester leur solidarité sans réserve avec les Palestiniens, ainsi que des artistes et intellectuels européens, Ken Loach, Christophe Oberlin...
Ce qui est déchirant, c’est de voir ces images en sachant que beaucoup des personnages présents à l’écran sont peut-être aujourd’hui morts sous les bombes qui frappent de façon indiscriminée les populations civiles, que beaucoup des immeubles que nous voyons encore debout sont probablement détruits à l’heure qu’il est (cf. l’article de Raz Segal A Textbook Case of Genocide). Ces événements sont révoltants, vraiment.