Actes et crimes de guerre
Lors de son assaut contre des localités israéliennes à partir de Gaza, le Hamas a commis des crimes de guerre. Les crimes de guerre du Hamas sont avérés, ne serait-ce que par les vidéos filmées et diffusées par leurs auteurs. Si l’objectif était de rendre très improbable toute perspective de cohabitation pacifique future entre Israéliens et Palestiniens, on peut dire qu’il a été, probablement, largement atteint, et c’est désespérant.
La riposte israélienne a soulevé moins de réprobation, mais elle n’en a pas moins comporté son lot de crimes de guerre, bombardements indifférenciés de populations civiles palestiniennes, coupure des alimentations en eau et en électricité, destruction systématique des habitations civiles, expulsion vers le sud du territoire d’un million de personnes qui n’y trouveront aucun abri ni subsistance. Outre les victimes directes des bombardements, le bilan humain sera sûrement catastrophique pour des raisons sanitaires, on parle déjà d’accouchements en rase campagne (si on peut parler de campagne), sans assistance médicale, sans oublier les enfants en bas âge, les malades...
Que l’on me comprenne : quels que soient les forfaits des uns et des autres, il n’y a pas de symétrie entre la situation des Palestiniens et celle des Israéliens, il y a ceux qui sont occupés et il y a ceux qui occupent. Comme le dit l’écrivain et journaliste israélien Michel Warschawski dans une interview à Mediapart : « On ne peut pas mettre deux millions de personnes dans une cocotte-minute à Gaza et ne pas comprendre que ça va exploser tôt ou tard. Deux millions de personnes sont enfermées dans un minuscule territoire et soumises à un blocus depuis plus d’une décennie. Ces deux millions de personnes ont des droits, à commencer par le droit d’exister, de respirer. Israël les soumet désormais à un siège complet en représailles, leur coupe l’eau, la nourriture, les médicaments, l’électricité, Internet, les télécommunications. Sa riposte est inacceptable. »
L’offensive du Hamas était minutieusement préparée, ses préparatifs parfaitement dissimulés, ses effets ont été décuplés par l’irresponsabilité des autorités israéliennes, qui avaient négligé les avertissements reçus de leurs propres services, des services de renseignement égyptiens et d’autres, et préféré retirer des troupes de cette frontière pour les envoyer soutenir une offensive anti-palestinienne des colons en Cisjordanie.
Succès politiques du Hamas
Le Hamas a remporté d’autres succès. Le déplorable Donald Trump, assisté de son gendre Jared Kushner, avait concocté en 2020 un plan dit « Accords d’Abraham », aux termes desquels Israël « normaliserait » ses relations avec le Maroc, le Soudan et quelques grandes démocraties régionales, Émirats arabes unis, Bahreïn, et, espérait-on, Arabie Saoudite, en passant à la trappe les Palestiniens, qui devraient renoncer à leur patrie en échange de quelques dollars versés par leurs frères arabes. Benjamin Netanyahou s’était bien sûr rallié à cette idée avec enthousiasme. Après l’attaque du Hamas, le président Joe Biden avait prévu un voyage dans la région, au cours duquel il prévoyait de rencontrer les chefs d’État de la région. Mais voilà, à la veille du voyage, « on » annonce le bombardement du principal hôpital de Gaza par l’aviation israélienne. Aussitôt les chefs d’État arabes annulent leurs rendez-vous avec Biden et remettent en cause les Accords d’Abraham. Dès le lendemain la thèse du bombardement de l’hôpital par les Israéliens apparaît pour le moins douteuse, mais le résultat est là, les Accords d’Abraham sont torpillés, et le monde apprend que les Palestiniens existent toujours et que rien ne sera résolu sans eux. Par la même occasion, le Hamas acquiert le monopole de la représentation des Palestiniens, l’Autorité palestinienne perd le peu de crédibilité qui lui restait, le sponsor iranien du Hamas reprend le leadership régional, partagé avec la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan.
Que veut le Hamas ?
Le Hamas, fondé en 1987 par Ahmed Yassine en tant que branche palestinienne des Frères musulmans, a créé son organisation militaire en 1992, et a rejeté les accords d’Oslo de 1993. Ces accords prévoyaient une « solution à deux États », on ignore si une telle solution aurait été viable, mais en tout état de cause les accords ont été bafoués avec persévérance par les gouvernements israéliens successifs, qui n’ont eu de cesse d’encourager la colonisation de la Cisjordanie, où aujourd’hui quelques 600 000 colons israéliens se sont approprié les meilleures terres.
Le 26 janvier 2006, le Hamas remporte les élections législatives palestiniennes. Il obtient 56 % des suffrages, ce qui lui donne une majorité parlementaire de 74 sièges sur 132. Le Hamas ravit ainsi la majorité au Fatah (Wikipédia). Il s’ensuit un conflit violent entre les deux partis, à l’issue duquel le Hamas établit son pouvoir sur la bande de Gaza, évacuée par les Israéliens en 2005. Il serait cependant erroné de considérer Gaza comme un territoire indépendant et souverain : toutes les communications avec le monde extérieur, par terre, air, mer ou télécommunications, sont contrôlées par les autorités israéliennes, on ne peut entrer à Gaza ou en sortir qu’avec leur autorisation.
Comme de nombreux commentateurs l’ont mentionné et documenté, si l’armée israélienne bombarde régulièrement les installations du Hamas, en faisant de nombreuses victimes civiles à chaque fois, le gouvernement israélien considérait, jusqu’aux derniers événements, le Hamas comme un allié tacite contre l’Autorité palestinienne installée à Ramallah en Cisjordanie. Et cet allié tacite, il le soutenait subrepticement, en allant même jusqu’à le financer par le biais de transferts financiers vers la bande de Gaza, dont les populations locales n’ont bien sûr jamais bénéficié.
Le programme du Hamas est sinistre : en gros, les Juifs à la mer ou égorgés. On aurait pu souhaiter d’autres représentants pour les Palestiniens, mais les gouvernements israéliens successifs, en sabotant consciencieusement les accords d’Oslo, en acculant à l’impuissance toute représentation palestinienne raisonnable, en encourageant la colonisation de la Cisjordanie, en menant une politique systématique d’éviction des Palestiniens, de répression coloniale impitoyable et d’apartheid en Cisjordanie, ont tout fait pour qu’on en soit là.
Quelle parole juive possible ?
En 1972, il y a donc plus d’un demi-siècle, avec un tout petit nombre d’amis issus du mouvement maoïste en pleine décapilotade, nous avions formé un groupe de Juifs anti-sionistes. Qu’entendions-nous par là ? Protester contre la dépossession des Palestiniens de leur patrie et contre la politique coloniale d’Israël.
Avant la seconde guerre mondiale, la majorité des Juifs, conformément aux enseignements rabbiniques, étaient anti-sionistes, c’est-à-dire hostiles à la création d’un État juif. Après la guerre, le génocide des Juifs et la création de l’État d’Israël, la question se posait bien sûr différemment, beaucoup de juifs arrivés en Palestine après la guerre n’avaient littéralement nulle part ailleurs où aller.
Par notre prise de position anti-sioniste, nous entendions militer pour un État où Juifs et Palestiniens seraient citoyens sur un pied d’égalité. Comment réaliser un tel idéal, nous n’en avions pas la moindre idée, et de toute façon nous croyions que la révolution, imminente sans aucun doute, viendrait à bout de tous les obstacles. C’était bien sûr assez idiot, mais à l’époque nous étions nombreux à nourrir ce genre d’idées. Il paraît même qu’il y en a encore...
Nous n’étions qu’un tout petit groupe, mais nous avions reçu le soutien de personnes de qualité : l’orientaliste Maxime Rodinson, auteur en 1967 d’un article dans les Temps modernes qui n’a rien perdu de son actualité, Israël, fait colonial ?, et d’une biographie du prophète Mohamed (malencontreusement intitulée Mahomet, comme de coutume à l’époque) excellente mais interdite dans la plupart des pays arabes, l’acteur Samy Frey, le chanteur Georges Moustaki, le dramaturge et acteur Victor Haïm...
Un demi-siècle plus tard, rien ne va mieux, mais beaucoup de choses ont changé. Israël tel qu’il est constitué est là pour durer, et je ne puis que vous renvoyer aux écrits de Dominique Eddé pour un point de vue arabe désabusé mais réaliste. Le moment est peut-être venu d’abandonner le terme anti-sioniste, auquel les sionistes ennemis des Palestiniens (ils ne le sont pas tous, j’en connais) ne manquent pas d’associer le projet de rayer Israël de la carte, projet que nous ne nourrissons pas. L’historien Shlomo Sand se définit comme non-sioniste. La question mérite d’être posée.
En tout cas, indépendamment de toute orientation terminologique, je ne cesserai pas de combattre la politique de colonisation israélienne et de défendre les droits des Palestiniens à une solution juste, même si j’ignore ce qu’elle pourrait être : en tout état de cause, c’est aux habitants du lieu, Israéliens et Palestiniens, d’en décider. Et faute d’une telle solution acceptée, plus ou moins de gaieté de cœur, par les uns et par les autres, les événements cauchemardesques qui se déroulent en ce moment ne pourront que se reproduire périodiquement.
Écrit le jour de mes 76 ans.