La situation politique et sociale au Moyen-Orient et au Maghreb est chaque jour un peu plus démoralisante. Le plus tragique est en Syrie et en Irak, mais ailleurs ce n’est guère mieux. L’écrivain égyptien Alaa al-Aswany a publié chez Actes Sud un recueil d’articles écrits de 2008 à 2011, traduits en français sous le titre Chroniques de la révolution égyptienne, dont chacun se termine par la phrase « la démocratie est la solution », qui parodie pour le désamorcer le slogan des Frères musulmans « l’Islam est la solution ». Certains auteurs français, européens, américains mettent en doute la possibilité de cette solution. Qu’en penser ?
Il y a longtemps déjà, un ami palestinien m’avait expliqué que les valeurs politiques et morales perçues comme d’origine occidentale étaient singulièrement discréditées dans le monde arabe par les expériences coloniales, et particulièrement par la spoliation et l’oppression imposées aux Palestiniens, au nom précisément de ces valeurs. Comment se jeter avec ardeur dans les bras de l’état de droit, dont l’hymne est entonné quotidiennement par les puissances occidentales, spécialement pour donner des leçons à des peuples supposés en être dépourvus, alors que c’est au nom de ce principe que depuis 65 ans la plupart des Palestiniens ont le choix entre l’exil, l’occupation militaire avec des droits civiques limités, ou une citoyenneté de seconde zone dans l’État d’Israël qui les a spoliés ? D’ailleurs il est inexact de dire qu’ils ont le choix : ils se sont retrouvés un jour, au gré de circonstances sur lesquelles ils ne pouvaient guère agir, dans l’une ou l’autre de ces situations, et il leur est rarement possible d’en changer.
Tant que durera la spoliation des Palestiniens, les conceptions juridiques et politiques d’origine occidentale seront plus ou moins discréditées dans les pays arabes ; l’histoire de la colonisation avait déjà écorné leur prestige ; bref, ces conceptions sont vues comme entachées d’hypocrisie, invoquées par les occidentaux quand cela correspond à leurs intérêts, oubliées dans le cas contraire. Et il ne faudra pas s’étonner de voir apparaître des alternatives : après tout, ces pays ont leurs propres traditions juridiques et politiques. Par exemple, on note le retour sur le devant de la scène de ce que l’on appelle la charia, souvent interprétée, si j’en crois des auteurs tels que Mohamed Arkoun, Daryush Shayegan ou Abdelwahab Meddeb, d’une façon qui n’a jamais eu cours ni dans aucune école juridique traditionnelle, ni dans aucun état musulman du passé.
La vision du monde wahhabite ne nous enthousiasme pas ? Nous préférerions que nos voisins du monde musulman adoptent des visions juridiques et politiques plus proches des nôtres ? Alors sans doute devrions-nous songer aux moyens de les rendre plus attrayantes. Par exemple, en évitant que notre magnifique conception de la démocratie ne soit invoquée pour justifier la spoliation d’un peuple entier. Et aussi, en accordant plus de considération à nos compatriotes issus du monde arabe. D’ailleurs, malgré tout ce qui précède, l’idée démocratique est très populaire dans le monde arabe, spécialement parmi la jeunesse.
Liberté, égalité, fraternité, pour tout le monde.