Ce livre est publié par un éditeur de littérature, Grasset, dans une collection où l’on trouve habituellement des romans ou du moins des récits, il se montre dans les vitrines de toutes les bonnes librairies et se présente dans toutes les émissions littéraires. Aussi son acheteur peut-il à bon droit avoir, comme moi, un mouvement de recul en y découvrant des pages entières d’équations mathématiques propres à me rappeler mes pires souvenirs de taupe.
Disons-le d’emblée : ce mouvement de recul peut être surmonté. Au début, mon surmoi m’a incité à essayer de lire les équations, mais j’y ai vite renoncé, le plus sage est de les considérer comme des gravures, des illustrations à contempler (fort belles parfois), ainsi que les commentaires abscons qui les accompagnent. Et le reste du texte, sans être un chef-d’œuvre littéraire, ce à quoi il ne prétend pas, est d’une lecture plaisante, il donne un aperçu vivant du monde de la recherche scientifique contemporaine, du point de vue de quelqu’un qui y réussit très bien : la médaille Fields, ce n’est rien d’autre que l’équivalent du prix Nobel pour les mathématiques. On se rend bien compte aussi de l’importance des réseaux de sociabilité dans la recherche contemporaine : l’ère du savant enfermé dans son laboratoire est révolue depuis longtemps, la science moderne prend l’avion, de Paris à Princeton et Hyderabad en passant par la baie de San Francisco, et en tous ces lieux il faut avoir des gens qui connaissent votre travail, qui l’estiment et qui à l’occasion y collaborent. Il y a des exceptions, comme Grigori Perelman, et encore, cela reste à voir. Dans le livre, cette sociabilité est illustrée par la reproduction de nombreux messages électroniques, qui sont des documents intéressants sur la science en train de se faire. Entre parenthèses, on voit bien que les recherches de Villani sont tout autant de la physique que des mathématiques, dans la lignée des mathématiques dauphinoises [1].
Et on devine entre les lignes en quel enfer peut se muer le monde de la recherche pour quelqu’un qui n’y réussit pas, par exemple par défaut de sociabilité, ou pour avoir choisi une piste prometteuse et néanmoins sans issue. C’est souvent en effet une question de chance !
Bref, vous pouvez raisonnablement envisager l’acquisition de cet ouvrage, et c’est même une lecture à conseiller pour quelqu’un de jeune qui envisage de choisir une carrière dans la recherche : il y verra surtout décrits les aspects enthousiasmants, mais sans que soient déniés les risques à prendre pour y réussir, non plus que l’intensité du travail à fournir.