Un billet précédent relatait ma visite de l’exposition Rouge - Art et utopie au pays des Soviets au Grand Palais, et la saturation de réalisme socialiste qu’elle m’avait fait ressentir, malgré la présence de véritables chefs d’œuvre (pour un compte-rendu plus objectif on pourra consulter la page Facebook de Rachel Mazuy).
Mais je n’ai pas renoncé pour autant. J’avais noté que l’Opéra de Paris avait mis à son programme Lady Macbeth de Mzensk de Dmitri Chostakovitch, d’après la nouvelle de Nikolaï Leskov, et j’ai décidé d’y aller, bien que ni ma tendre épouse ni mes meilleurs amis n’aient accepté de m’accompagner.
La nouvelle de Leskov, Lady Macbeth de Mzensk ou Lady Macbeth au village selon les traductions [1], est un des plus beaux textes de la littérature russe, et de la littérature tout court, et un ami m’avait recommandé l’opéra qu’en avait tiré Dmitri Chostakovitch, pas mon compositeur préféré, mais pas le pire non plus. Alors j’ai pris une place, et en route pour l’Opéra Bastille.
J’attendais beaucoup du dénouement, qui dans la nouvelle de Leskov est une des choses les plus fortes que j’aie jamais lues. Mais à la fin de l’entracte un monsieur est venu nous annoncer qu’Aušrinė Stundytė, qui tenait le rôle principal, celui de Katerina Lvovna Ismailova, s’était blessée à la fin du second acte, sans doute lors des scènes de débauche sexuelle échevelées qui le terminent (étonnant de la part d’un Vieux Croyant comme Leskov, mais sans doute était-ce pour montrer l’horreur de ce bas monde), et que la seconde partie de la représentation était annulée. Déception !
En fin de compte l’Opéra de Paris a été généreux et m’a offert un billet pour la semaine suivante. J’ai donc pu voir Lady Macbeth de Mzensk en entier, même une fois et demie, et Madame Aušrinė Stundytė, remise de sa blessure, a fort bien chanté.
Que dire ? La nouvelle de Leskov, glaçante, laisse le lecteur pantelant. Elle atteint ce résultat par le laconisme, l’ellipse et la sobriété. Chostakovitch ne recule pas devant la grandiloquence, mais ce n’est rien à côté du metteur en scène Krzysztof Warlikowski, qui ne recule ni devant un viol collectif (des ouvriers sur la femme du patron, Aksinya, interprétée par Sofija Petrovic, en plus c’est de gauche), ni devant des scènes de sexe très réalistes. Je ne suis pas sûr que ce soit dans le livret, parce que Chostakovitch n’avait pas, comme Krzysztof Warlikowski, transposé l’action des deux premiers actes dans une boucherie industrielle du XXe siècle avec de nombreux ouvriers. Les deux derniers actes relatent l’arrestation, la condamnation et la déportation en Sibérie des amants diaboliques. La fin doit être lue dans le texte.
De vrais chœurs russes auraient sans doute été plus convaincants que ceux de l’Opéra de Paris.