Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Un roman magnifique d’Andreï Makine
L’archipel d’une autre vie
Article mis en ligne le 31 janvier 2017
dernière modification le 5 mars 2019

par Laurent Bloch

Depuis quelque temps tout m’attirait vers ce livre d’Andreï Makine : je suis finalement tombé dedans. Heureusement je n’avais ce jour-là aucun rendez-vous, parce que je n’ai pu m’en extraire qu’après avoir lu sa dernière page, interrompre ce suspens et cette émotion eût été insupportable. En plus c’est très bien écrit. Rassurez-vous, il n’y a que 288 pages, si un lecteur lent comme moi le lit dans la journée vous le pouvez aussi. Il est disponible sous forme électronique.

L’action est au bord du détroit de Lindholm, en face des îles Chantar, dans la mer d’Okhotsk, juste avant l’Océan Pacifique, un millier de kilomètres au nord de Vladivostok. Le narrateur est un adolescent, pensionnaire d’un orphelinat sibérien réservé aux enfants de prisonniers du Goulag pour leur éviter les contacts avec d’autres jeunes, ce qui risquerait d’ébruiter le fonctionnement de ces bagnes et l’assassinat de leurs parents.

Le narrateur, de son orphelinat, est envoyé quelques milliers de kilomètres encore plus à l’est, à Tougour [1], pour y suivre un stage de géomètre. Là, à l’arrivée de l’hélicoptère hebdomadaire (ni route ni aérodrome ni chemin de fer dans ce désert glacial), il remarque un homme étrange et solitaire qui s’enfonce dans la taïga. Il le suit. Ils ne tarderont pas à faire connaissance, l’inconnu se nomme Pavel Gartsev, il va expliquer à l’adolescent les circonstances de son installation dans cet endroit inaccessible, et son récit constituera la plus grande part du roman.


Pavel Gartsev faisait son service militaire dans la région, à la fin de l’ère stalinienne. Il était mal vu de ses chefs, ce qui était très dangereux en ces temps de délation généralisée, de torture et d’exécutions sommaires. Un jour, le directeur du camp de concentration voisin appelle les militaires à l’aide pour rattraper un prisonnier évadé. Le récit de la poursuite dans la taïga est haletant. Outre Gartsev et le sous-lieutenant qui veut sa peau, y participent le responsable local de l’espionnage militaire, un commandant, un maître-chien et son molosse.

L’évadé est d’une ruse diabolique, ses poursuivants veulent absolument le capturer vivant afin de pouvoir lui infliger des tortures et une mise à mort suffisamment épouvantables pour dissuader ses codétenus de toute velléité d’escapade. Pendant des jours et des nuits le fugitif, qui a pu s’emparer d’un fusil, joue au chat et à la souris avec les militaires, qui ne prennent pas le risque de s’approcher de nuit de crainte de se faire tirer dessus.

Le sous-lieutenant stupide finit par tuer le chien en le confondant avec un ours, le commissaire politique est un pleutre, trop heureux de recevoir une balle dans le mollet pour justifier son retour à la base par un radeau lancé sur la rivière Amgoun. Finalement Gartsev reste le seul poursuivant, et il ne mesure pas vraiment que cela fait de lui un coupable idéal en cas d’échec de la mission.

Je ne puis vous livrer le dénouement, mais sachez qu’il a lieu au milieu de paysages dantesques, qu’il y a des navigations périlleuses avec des mascarets de plusieurs mètres de haut, juste à temps avant que la mer ne devienne banquise. On peut penser aux épisodes de solitudes glacées de Docteur Jivago, ou aussi aux romans de James Oliver Curwood, auteur un peu vite classé dans la « littérature pour la jeunesse », à laquelle il appartient indubitablement, mais cela ne devrait pas empêcher les vieux de le lire. Comme ces livres, L’archipel d’une autre vie est plein d’un romantisme du meilleur aloi. N’hésitez pas.