La presse française a rendu compte des péripéties de la crise parlementaire israélienne, mais sans qu’en apparaissent clairement les enjeux. Idit Silman, députée du parti nationaliste religieux Yamina auquel appartient le Premier ministre Naftali Bennett, a démissionné pour protester contre une décision du ministre de la santé Nitzan Horowitz, membre du parti sioniste de gauche Meretz, mais la teneur et les enjeux de cette décision n’apparaissaient pas clairement. Il est donc salutaire que France Culture ait invité dans son émission Les Enjeux internationaux Thomas Vescovi, auteur de L’échec d’une utopie. Une histoire des gauches en Israël, qui a expliqué clairement de quoi il retournait.
Le parti de Madame Idit Silman voulait interdire pendant Pessah (la Pâque juive, qui commence ce vendredi et qui comporte des interdits alimentaires particuliers) l’introduction d’aliments non conformes à ces interdits dans les hôpitaux publics israéliens, ce qui aurait constitué une brimade pour les patients non-juifs, au premier chef les Palestiniens musulmans ou chrétiens. Cela pourrait sembler anecdotique, mais pas si on replace cette proposition dans le contexte de la loi du 19 juillet 2018 qui définit l’État d’Israël comme l’État-nation du peuple juif « qui y exerce son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination. La réalisation de ce droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est réservée au seul peuple juif […]. L’hébreu est la langue de l’État d’Israël. La langue arabe est dotée d’un “statut spécial” dans l’État ; l’usage de l’arabe dans et par les institutions sera réglé par la loi. […] ; L’État voit le développement de l’implantation juive comme une valeur nationale, encouragera et promouvra son développement et sa consolidation ».
Aux termes de cette loi discriminatoire, la langue arabe a perdu le statut de langue officielle qu’elle avait en Israël, et ont suivi toute une série d’actions et de dispositions légales hostiles aux Palestiniens, comme l’expulsion de familles palestiniennes de leurs maisons de Jérusalem-Est, qu’elles occupaient depuis 1948, sous prétexte de titres de propriété douteux exhibés par des juifs, ou comme des restrictions au regroupement familial de Palestiniens de nationalité israélienne mariés à des conjoints palestiniens des territoires occupés, pour ne citer que deux exemples. Ces circonstances relèguent les citoyens non-juifs (principalement palestiniens) de l’État d’Israël dans un statut de seconde zone, ce qui était déjà le cas auparavant, mais cela s’est aggravé et a mené Amnesty International à émettre le diagnostic d’apartheid.
Le parti Yamina de Madame Idit Silman milite pour un État régi par la loi religieuse juive, et où les Juifs auraient un statut supérieur à celui des autres citoyens ; outre les non-juifs, seraient (sont) victimes de telles dispositions les membres des communautés LGBT ou les enfants issus de mariages mixtes, cependant que les religieux orthodoxes échappent à la conscription tout en votant pour les partis les plus bellicistes et les plus enclins à la colonisation et à l’éviction des Palestiniens. Le parti Meretz de Nitzan Horowitz est partisan d’un État séparé des autorités religieuses et respectueux des droits des citoyens non-juifs.
C’est dans ce contexte qu’il faut envisager la vague d’attentats palestiniens qui a frappé Israël ces dernières semaines : il est probable que ces attentats contre des populations civiles ne servent guère la cause que leurs auteurs proclament, mais il faut également considérer qu’en plaçant les populations palestiniennes dans une situation de plus en plus désespérante par des harcèlements continuels, la politique israélienne ne peut que récolter les fruits qu’elle sème.