Yarmouk est un faubourg de Damas où dans les années 1950 vinrent s’installer des milliers de Palestiniens contraints à l’exil par la création de l’État d’Israël. Ce sont eux en fait qui ont créé ce qui était au départ un camp, devenu plus tard une véritable ville. Lorsqu’en 2011 survint le soulèvement syrien contre la dictature de Bachar el-Assad, près de 160 000 Palestiniens vivaient dans ce qui allait bientôt devenir un champ de bataille.
Bientôt pris entre deux feux, armée contre rebelles, beaucoup purent quitter Yarmouk, mais ceux qui restaient furent soumis par l’armée de Bachar el-Assad à un siège impitoyable de 2013 à 2015. Plus personne ne pouvait ni entrer ni sortir de la ville. Peu à peu, les habitants furent privés de nourriture, d’eau, d’électricité, de médicaments. Les organisations humanitaires et l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East) pouvaient introduire au compte-gouttes des colis de nourriture et de médicaments, quand l’armée ne profitait pas de ces circonstances pour ouvrir le feu à l’arme lourde. Des avions ou des hélicoptères larguaient périodiquement des barils d’explosifs sur les zones habitées. 181 habitants de Yarmouk sont morts de faim pendant ce siège. En 2015 l’État islamique (EI) s’empara de l’endroit, ce qui fournit aux aviations syrienne et russe un prétexte pour bombarder Yarmouk, cependant que l’EI s’enfuyait vers l’Est avec l’accord des autorités syriennes. Aujourd’hui la présence palestinienne à Yarmouk a pratiquement pris fin. Un autre film, de 2012, a décrit la vie palestinienne à Yarmouk avant le siège, Les Chebabs de Yarmouk d’Axel Salvatori-Sinz.
Abdallah Al-Khatib n’avait jamais tenu une caméra, un ami lui en confie une avant de chercher à s’échapper ; cet ami, Hassan Hassan, que l’on voit dans le film d’Axel Salvatori-Sinz, sera capturé et torturé à mort par les séides de Bachar el-Assad : Abdallah se sent obligé de poursuivre l’œuvre de son camarade, filmer la vie quotidienne à Yarmouk. Il renonce vite au projet peu réaliste de donner une vue complète de la société du camp, et montre les événements et les gens comme ils se montrent à lui, au jour le jour. Étant donnés les moyens sommaires dont il dispose (une petite caméra à main et l’aide de quelques copains), on ne peut qu’admirer les prouesses qu’il réalise pour atteindre, par moments, une beauté élégiaque, comme la scène avec une petite fille, Tamsin, qui ramasse des herbes (du mouron blanc) parce qu’il n’y a plus rien d’autre pour nourrir sa famille, ou les adolescents qui sortent un piano dans la rue pour chanter en chœur. Comme dans le film d’Axel Salvatori-Sinz, on voit un peuple arabe libre, gai, généreux, ouvert, bien loin des clichés véhiculés par les politiciens français du « séparatisme ».
Au fil du temps, le moral de la population s’effondre ; au début du film les gens sont encore gais et combatifs, mais la faim a raison de leur vitalité. Les scènes les plus déchirantes sont celles de vieillards à l’agonie, qui s’efforcent de récupérer au fond d’une tasse la dernière goutte d’un café bu il y a bien longtemps. Ou encore la cohue autour d’une distribution de soupe populaire, en fait un brouet d’eau vaguement colorée, dont certains repartent avec le liquide dans un sac en plastique percé de partout.
Il y a aussi des scènes de résistance, des manifestations, des discours enflammés, un jour des centaines de jeunes qui montent à l’assaut des barricades, mais que peuvent-ils contre les armes automatiques de l’armée ?
Le film est scandé par de courtes apostrophes poétiques d’Abdallah Al-Khatib, qui sont « Quarante règles » à connaître pour vivre en état de siège. Je n’ai pas trouvé trace de ce texte en français, mais il mériterait d’être traduit.