Blog de Laurent Bloch
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Un film de Renaud Barret tourné à Kinshasa au Congo :
Système K
Article mis en ligne le 20 janvier 2020
dernière modification le 28 janvier 2020

par Laurent Bloch

Système K est le plus récent des films tournés à Kinshasa (capitale de la République démocratique du Congo, RDC, naguère nommée Zaïre) par Renaud Barret, qui est tombé amoureux de cette ville et de ses habitants. Le public français a surtout pu voir son film Benda Bilili !, l’équipée enthousiaste et enthousiasmante d’un orchestre de handicapés (victimes de la poliomyélite) pleins de joie de vivre dans leurs fauteuils roulants de récupération plus ou moins bricolés. Le film a connu un succès inespéré, ce qui par répercussion a donné à ses personnages l’occasion d’une tournée internationale triomphale.

Avec Système K Renaud Barret poursuit l’exploration de la scène artistique kinoise, cette fois du côté des arts plastiques, graphiques et performatifs. Là aussi les personnages sont des artistes indépendants, en marge de la société bien établie, en butte au tracasseries de la police et de l’administration. Il faut savoir que la RDC dispose d’une capacité agricole et de ressources naturelles exceptionnelles : tout ce qui est végétal peut y pousser, éventuellement plusieurs fois par an, le réseau fluvial ne le cède qu’à l’Amazonie, l’Est du pays est un « scandale géologique », richissime en cuivre, cobalt (plus de la moitié de la production mondiale), diamants, or, étain, manganèse... Les industries de pointe du monde entier reposent sur ces ressources, une mafia de dirigeants pour lesquels le qualificatif « corrompus » est un euphémisme en encaisse la rente, la population n’en reçoit rien. Le film, tourné dans la capitale du pays, montre que les habitants n’ont ni électricité, ni eau courante, ni voirie, ni scolarisation. Le terrain est occupé par des pasteurs évangéliques avides de l’argent de leurs ouailles.

Il y a une quarantaine d’années j’ai eu l’occasion de séjourner à Kinshasa, je dois dire que nulle part je n’ai vu la corruption et la prévarication étalées avec une telle impudence, associées à une menace policière omniprésente, et pourtant j’ai voyagé (peut-être, dans un style différent, l’Éthiopie sous la dictature marxiste de Mengistu Haïlé Mariam...). S’il en est ainsi dans la capitale, autant dire qu’ailleurs il n’y a rien, comme on peut le voir dans le film Makala d’Emmanuel Gras. Les routes disparaissent, reprises par la forêt, puisque les puissants ne se déplacent qu’en avion ou en hélicoptère. Et pourtant, la population respire le dynamisme, la joie de vivre, l’esprit d’entreprise. On le voit bien dans le film Congo River de Thierry Michel : à la hauteur de Kisangani le fleuve Congo est coupé par des rapides qui interrompent la navigation. Une voie ferrée de 125km, le chemin de fer Kisangani-Ubundu contournait le segment impropre à la navigation, elle était à l’abandon depuis des années et les employés n’étaient plus payés depuis longtemps : pourtant, ils ont entrepris de remettre la voie et le matériel en état, bénévolement ; la voie a été réouverte en 2006, avec une unique locomotive datant de 1963.

Revenons aux artistes de Système K : ils travaillent avec des matériaux de récupération, souvent extraits de décharges publiques, ils s’exposent dans la rue, de façon provocante. Ainsi, Freddy Tsimba crée en pleine rue une « maison » dont les cloisons sont constituées de machettes soudées entre elles, la police y verra une allusion au comportement meurtrier du régime et la détruira, non sans embarquer quelques spectateurs. La révolte de Géraldine Tobe explose dans ses paroles, dans ses gestes, mais surtout dans sa peinture, aux formes torturées tracées à la lampe à pétrole. Yas Ilunga & Majestikos créent Bain de sang, au sens propre, avec une baignoire remplie d’un liquide rouge, un agneau égorgé, l’auteur inondé de rouge dans la baignoire poussée dans la rue sur un chariot.

Ce film est un hymne à l’inventivité, à la créativité, au dynamisme des habitants de ce pays, qui ne se laissent pas écraser par la mafia de minables qui s’entre-tuent à la tête du pays pour mieux le piller.


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