La scène est à Léningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg) en 1938, au paroxysme de la terreur stalinienne, qui en moins d’un an verra l’assassinat de près de 700 000 personnes. Le capitaine Volkonogov est un officier du NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures), chargé de torturer les « suspects » pour leur extorquer des aveux avant de les assassiner. En effet, comme les inquisiteurs chrétiens, les épurateurs communistes veulent assassiner dans les formes légales, avec des preuves, des témoignages et des aveux. Comme son chef l’explique un jour à Volkonogov : « Pourquoi les suspects ne veulent-ils pas avouer ? Mais parce qu’ils sont vraiment innocents, ils n’ont pas espionné, ils n’ont pas conspiré, ils n’ont pas saboté. Mais ils ne sont pas fiables : ils ont une mauvaise origine de classe, ou ils sont polonais, ou ils sont allemands... Alors on ne va pas attendre le début de la guerre avec les impérialistes et qu’ils commencent à espionner, à conspirer, à saboter. Il nous faut prendre les devants ! On ne peut quand même pas les arrêter sans raison : à chaque châtiment doit correspondre un crime ! ».
Les hommes qui mettent en œuvre la répression sont eux-mêmes arrêtés et exécutés au fur et à mesure du déroulement de l’épuration. Soudain, le capitaine Volkonogov comprend que son tour est arrivé. Alors il s’échappe. Dans sa fuite, il est frappé d’une vision : pour sauver son âme, il devra se confronter aux familles de ses victimes et obtenir leur pardon. Dans une scène onirique, Volkonogov, déguisé en clochard, se voit enfouir dans une fosse commune des dizaines de cadavres, amenés en tramway, sous les ordres d’un apparatchik, puis, après le départ des autres protagonistes, son ancien camarade sort de terre et lui apprend qu’il doit obtenir le pardon d’au moins une de ses victimes.
S’ensuit une poursuite haletante, magnifiquement filmée, en tramway, à pied, le long des quais, dans des cours sordides, dans des immeubles à moitié en ruines mitoyens de superbes palais de l’époque tsariste, partout s’étale la misère du peuple, on pense bien sûr au Gogol de La Perspective Nevski, au Dostoïevski de Crime et châtiment. Lors d’un flashback, Volkonogov et ses collègues, novices en assassinats de masse, sont présentés à un exécuteur modèle, qui leur montre, par l’exemple réel, comment abattre à coup sûr un ennemi du peuple, d’une seule cartouche. Des dizaines de condamnés, tournés vers le mur dans le couloir, attendent leur tour.
Volkonogov entreprend la tournée des familles de ceux qu’il a menés à la mort. La première, fille d’une victime, lui suggère d’aller se faire sodomiser. Le second, père d’un condamné, appelle le NKVD.
Pour la dernière visite, la famille de la victime habite, hors de la ville, d’anciennes fortifications qui bordent la côte du golfe de Finlande, dans un paysage sublime. L’épouse n’est pas là, il rencontre l’enfant de sa victime, sept ou huit ans, qui profère des vérités terribles : « Vous avez torturé mon père et il a avoué qu’il était un ennemi du peuple ? En Espagne les fascistes l’avaient torturé et il n’avait pas avoué. Vous l’avez mieux torturé ? » et pour finir : « De toute façon, personne ne te pardonnera ».
Finalement, dans une scène christique, Volkonogov rencontre dans un grenier sordide une vieille femme mise au ban de la société parce que sa fille a été arrêtée, au bord de l’inanition, il la lave, et pense obtenir sa rédemption. Il ne lui reste plus qu’à croiser son destin.
Il faut un cœur bien accroché, mais ce film est à voir. Les réalisateurs ont quitté la Russie.