Blog de Laurent Bloch
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Quelques films de cet été
Wind River, Faute d’amour, Une femme douce, Nos Années folles, Les grands esprits, rétrospective Andreï Tarkovski
En espérant que vous les aimerez
Article mis en ligne le 26 septembre 2017
dernière modification le 19 août 2023

par Laurent Bloch

Wind River

Wind River de Taylor Sheridan oscille entre le film d’action avec poursuites et coups de feu à foison et critique sociale antiraciste, ce qui risque de décourager les deux publics, ce qui serait dommage parce que c’est un beau film. La scène est dans les montagnes du Wyoming, parmi les plus hautes, les plus enneigées et les plus sauvages des États-Unis (si on compte à part l’Alaska, hors-concours sous ce rapport).

Cory Lambert est garde forestier sur le territoire de la réserve indienne de Wind River. Sa femme Wilma, dont il est séparé à la suite d’événements que nous apprendrons plus tard (et que je ne dévoilerai pas ici), est amérindienne, ils ont un fils, Casey, que ce jour-là Cory emmène dans la réserve, chez ses grands-parents amérindiens. Le grand-père signale à Cory des traces de puma dans la neige, un danger pour le bétail. En suivant les traces, Cory découvre le cadavre d’une jeune femme, Natalie, dont nous apprendrons plus tard qu’elle était la sœur de Wilma. Cory avertit le shérif, qui fait appel au FBI. L’agent du FBI, une jeune débutante, arrive de Las Vegas en talons hauts et petit blouson, au milieu d’un froid sibérien et de routes enneigées.

J’en reste là pour les péripéties. Vous aurez droit à de magnifiques courses en motoneige sur des crêtes vertigineuses, à des tanières de pumas, au drame social de la déréliction des Amérindiens, à l’alcoolisme ordinaire du personnel d’une station de forage pétrolier, au triste sort des jeunes femmes amérindiennes que ne respectent guère ces hommes brutaux et racistes, dans l’indifférence des autorités.

Faute d’amour

Je m’efforce de ne jamais rater les films d’Andreï Zviaguintsev, qui aurait dû remporter la Palme d’or 2014 à Cannes pour Léviathan, plus beau que Winter Sleep, film au demeurant excellent de Nuri Bilge Ceylan. Faute d’amour (la traduction mot à mot du titre russe serait « Pas d’amour ») est plutôt dans la veine du film précédent de Zviaguintsev, Elena : banlieues impersonnelles, petits-bourgeois égoïstes, âpres au gain et sans âme, nouveaux-riches sans scrupules, relations familiales et sociales perclues de haines et de jalousies.

Aliocha, une douzaine d’années, est ravagé de douleur par le divorce de ses parents, qui ont chacun une nouvelle vie amoureuse (si l’on peut dire). Un jour, après le collège, il ne rentre pas à la maison. La police renvoie les parents vers le « Groupe de recherche des enfants disparus » (seuls adultes un peu humains de cette histoire), qui tente une expédition chez la grand-mère maternelle d’Aliocha, en vain, puis organise des battues dans les bois des environs.

Ce scénario sinistre est transfiguré par l’art d’Andreï Zviaguintsev, qui par ses cadrages, le rythme des réminiscences, insuffle une poésie mélancolique irrésistible à cette histoire.

La société française contemporaine n’a pas grand-chose à envier à la Russie pour ce qui est de l’égoïsme et de l’avidité pour les biens matériels et les jouissances immédiates : je retiens néanmoins la leçon de Youssef Courbage et d’Emmanuel Todd, si la société russe a si bien accepté le communisme, c’est qu’elle était particulièrement détestable à ses membres.

Une femme douce

Après Robert Bresson, le cinéaste ukrainien Sergei Loznitsa a adapté la nouvelle de Dostoïevski La Douce. Inutile de dire que les deux films ne se resssemblent absolument pas, et celui-ci encore moins à la nouvelle de Dostoïevski.

Une femme vit seule avec son chien dans une villa délabrée à l’écart d’un village, elle travaille à la station-service du lieu. On apprend que son mari a été emprisonné à la suite d’une erreur judiciaire. Un jour, le colis qu’elle lui avait expédié lui revient, « inconnu à l’adresse indiquée ». Elle ne voit pas d’autre solution que de se rendre elle-même à la prison, à deux ou trois mille kilomètres de là, remettre le colis dont il a grand besoin.

L’activité de la ville où se trouve la prison tourne entièrement autour de cet univers carcéral : comme obtenir un droit d’accès au parloir peut prendre des jours et des jours, des aubergistes véreux vivent de l’hébergement des familles, des maquereaux prostituent les épouses sans ressources, le personnel pénitentiaire et la police s’enrichissent par la corruption et des trafics en tous genres, les tripots s’emploient à piller naïfs et naïves, le taux d’alcoolémie atteint les sommets. L’héroïne s’efforce de conserver sa dignité au milieu de cette boue.

Pour citer Andreï Zviaguintsev, « [la patience de l’homme russe] s’est depuis longtemps muée en résignation. Le sentiment de son bon droit s’est apparemment émoussé au fil des siècles. Il est très aisé de le convaincre qu’il n’a aucun droit. [... Il est privé] de toute capacité à croire en un quelconque droit à une place au soleil. »

Le thème de l’humiliation serait-il le ressort romanesque par excellence ? Dostoïevski et Proust, pour ne citer qu’eux, nous le répètent page après page.

Nos Années folles

Pendant la guerre de 14, le soldat Paul Grappe n’en peut plus, et au bout de deux ans il déserte. Après des semaines caché dans une cave, il veut sortir, sa femme Louise, fine couturière, le déguise en femme. Commence alors une vie de débauche lucrative au bois de Boulogne. Paul finit par s’habituer à cette vie de travesti prostitué, à y prendre goût. Il est amnistié en 1925 et pourrait reprendre une vie normale avec sa femme et l’enfant qui est né entre temps, mais il n’en a plus la capacité ni l’envie.

La beauté de ce film d’André Téchiné est dans la précision de la mise en scène, le découpage en brefs tableaux affranchis de l’ordre chronologique, le lien récurrent entre les décors et les états d’âme. On pense à Lola Montès et au Plaisir de Max Ophüls, ou encore aux scènes nocturnes de Renoir.

Les grands esprits

Le héros de ce film d’Olivier Ayache-Vidal, interprété par Denis Podalydès (le rôle lui va comme un gant), est un professeur de lettres d’une quarantaine d’années, agrégé normalien en poste au lycée Henri IV à Paris, sans doute en khâgne (ce n’est pas précisé mais l’ambiance le suggère). Le film s’ouvre sur la lecture par le professeur d’un texte latin assez long, malheureusement non sous-titré, à traduire pour le lendemain, puis par la remise des copies du devoir précédent, où l’annonce des notes, qui s’échelonnent de 0 à 1, est entrecoupée de commentaires humiliants adressés aux élèves.

Quelques scènes plus loin, le même professeur, lors d’un pot mondain, fait des ronds de jambe devant une jeune femme en pérorant sur le thème de l’Éducation nationale qui expédie dans des établissements difficiles de banlieue de jeunes profs inexpérimentés, alors qu’il faudrait mieux y envoyer des profs chevronnés. Il s’avère que la jeune femme est membre du Cabinet de la Ministre de l’Éducation nationale, et quelques jours plus tard notre héros est convoqué au Ministère, où la Ministre elle-même le remercie de sa candidature de mutation au collège Barbara de Stains (Seine Saint-Denis), qui est acceptée. Je vous laisse deviner la suite, hormis le passage où, lors d’un goûter de départ en petites vacances, les élèves proposent au prof des cookies au cannabis, et qu’il en offre lui-même au proviseur qui passait par là. Le réveil à l’hôpital après transport par les pompiers et les commentaires de la jeune interne sur le taux de THC ne manquent pas de sel. Il y a aussi une sortie au château de Versailles avec selfies dans la chambre du Roi...

Rétrospective Andreï Tarkovski

Tout l’été nous avons eu droit à des versions restaurées et numérisées de films d’Andreï Tarkovski, L’enfance d’Ivan, Le Miroir, Andreï Roublev, Stalker notamment. Ils doivent encore tourner, ne les ratez pas. Et aussi I Am Not Madame Bovary de Feng Xiaogang, Cherchez la femme de Sou Abadi...


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