Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Un livre d’Olivier Bouba-Olga :
Les nouvelles géographies du capitalisme
Comprendre et maîtriser les délocalisations
Article mis en ligne le 26 mars 2008
dernière modification le 12 octobre 2025

Maître de conférences à l’université de Poitiers et membre du Centre de recherche sur l’intégration économique et financière (CRIEF), Olivier Bouba-Olga dissipe dans ce livre bref et dense quelques idées reçues relatives à l’économie contemporaine et aux difficultés qui en résulteraient pour la France. Ses analyses donnent un angle de vision différent de celles de Michel Volle auxquelles j’ai déjà fait écho ici, sans toutefois les contredire, et rejoint par certains points celles de Daniel Cohen.

Selon un point de vue largement répandu, même si un peu moins généralement accepté qu’il y a un ou deux ans, la mondialisation et sa conséquence, l’essor des délocalisations industrielles, seraient à l’origine du taux de chômage élevé et de la stagnation du niveau de vie que connaît notre pays.

Pour commencer, la mondialisation de la production et du commerce n’explique, au sens statistique du terme, que moins de 5% du chômage français, comme Daniel Cohen l’avait déjà expliqué.

Ensuite, Bouba-Olga replace les choses dans leur contexte : les délocalisations sont un aspect parmi d’autres de la réorganisation des activités économiques à l’échelle mondiale. Cette réorganisation globale résulte elle-même du phénomène décrit par Michel Volle, l’émergence depuis les années 1970 d’un nouveau système économique dominé par la production de composants micro-électroniques et de logiciels. Parmi les autres aspects de de cette réorganisation de l’économie on peut noter le déclin des activités de production et donc de la demande de main d’œuvre peu qualifiée, ainsi que le rôle central pris par l’Internet.

Dans ce contexte Bouba-Olga, comme Volle, pointe l’extinction du modèle de l’entreprise fordiste. Le livre est parsemé d’encadrés qui décrivent des cas concrets : ainsi trouve-t-on p. 41 un résumé de l’histoire exemplaire de Moulinex, son ascension et sa chute. Comme Jean-Jacques Rosa, Bouba-Olga montre que le niveau relatif des coûts salariaux français, réputés élevés, ne sauraient à eux seuls expliquer les délocalisations, et son tableau de la page 58, qui met en regard le coût du travail et la productivité dans les pays européens est très éclairant à cet égard. L’encadré de la page 79 décrit comment LVMH connaît le succès sans externaliser la distribution ni délocaliser la production (si l’on considère que la Manche, l’Indre et la Vendée ne sont pas des sites de délocalisation). Les choix de Louis Vuitton sont comparés à ceux d’Hermès et de Gucci, mais aucun de ces industriels du luxe ne fait fabriquer ses articles de maroquinerie hors de France ou d’Italie, ce qui montre que les délocalisations ne sont pas inéluctables à condition de bien choisir ses produits, ses marchés et surtout son modèle d’organisation.

Dans le contexte d’extinction du modèle fordiste, Olivier Bouba-Olga distingue les réactions de deux types d’entreprises :

 l’entreprise néo-fordiste, qui s’adapte à la nouvelle situation en réduisant les coûts grâce à des investissements : automatisation pour dégager des économies d’échelle, élévation de la qualification du personnel, combinaison plus efficace des facteurs de production et réorganisation ;
 l’entreprise post-fordiste qui, plus que sur la réduction des coûts, mise pour son succès sur l’innovation et le gain de parts de marché.

L’orientation néo-fordiste est bien adaptée aux nouveaux pays industriels et à l’Europe de l’Est, qui disposent d’un avantage comparatif en termes de coûts salariaux, avec un niveau de qualification de la main d’œuvre suffisant pour adopter avec succès les nouvelles technologies et les nouvelles méthodes de travail.

L’orientation post-fordiste est caractéristique des secteurs les plus modernes, tels que décrits par Michel Volle : Bouba-Olga donne l’exemple de Novartis (p. 142), « firme cognitive ... qui s’est désengagée de l’industrie chimique pour se positionner dans le secteur pharmaceutique à partir de l’exploitation des compétences en biotechnologies. Ce pool de compétences ... résulte d’acquisitions partielles ou totales, de coopérations, d’alliances technologiques ainsi que de collaborations avec des universités. »

Ce livre agréable à lire éclaire de nombreux sujets que je ne puis tous évoquer ici, par exemple il réfute l’idée selon laquelle l’action publique dans le domaine économique serait vouée à l’impuissance, voire forcément nuisible : les institutions publiques sont indispensables et les effets de leurs actions sont décisifs, simplement leur rôle doit être adapté au nouveau système économique.

J’emprunterai à Olivier Bouba-Olga une dernière notation : la distinction entre connaissances tacites et connaissances codifiables. « Xerox ... estime que 42% du savoir et des savoir-faire de la firme résident dans la tête de ses employés, 46% sont stockés dans des documents, 12% sont gérés par un système d’information commun. » L’auteur cite G. Dosi : les connaissances codifiables sont aux performances des organisations ce qu’un abonnement à l’American Economic Review est à l’obtention du prix Nobel d’économie.

Autant dire que l’on est pas près de pouvoir se passer des connaissances tacites, ni de ceux dans la tête de qui elles résident.