La tragédie frappe actuellement Gaza, elle a été déclenchée par le gouvernement israélien en représailles (complètement disproportionnées) de l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, attaque qui avait donné lieu à des crimes, mais qui n’étaient pas sans le précédent de crimes israéliens contre les populations civiles palestiniennes. On ne peut pas prétendre qu’avant le 7 octobre tout allait bien : depuis 75 ans les Palestiniens subissent des massacres, des expulsions, des persécutions, un régime d’apartheid, on peut en avoir une idée en écoutant cet entretien avec l’historien israélien Ilan Pappé pour la présentation de son livre Le nettoyage ethnique de la Palestine, le 23 juin 2024 à Pantin [1]. Les propos et le livre d’Ilan Pappé sont terribles, parce qu’ils reposent sur une documentation irréfutable, notamment les archives de l’armée israélienne et des tribunaux israéliens. Comme il le dit, lorsqu’il y a un crime, si c’est la victime qui le dit on peut toujours la soupçonner d’exagérer, mais quand c’est le coupable qui le dit le déni est impossible.
À propos des réactions des Juifs de France face à ces événements : n’oublions pas qu’il s’agit d’un groupe social très hétérogène. Pour prendre mon exemple personnel, je suis issu d’un milieu relativement privilégié, parce que mes ancêtres sont citoyens français depuis la Révolution (merci à l’Abbé Grégoire), alors dans ma famille personne n’a jamais éprouvé une grande proximité avec le projet sioniste ni avec Israël. Un de mes lointains parents, Sylvain Lévi, fut président de l’Alliance israélite universelle de 1920 à 1935, et ouvertement hostile au sionisme. Mon grand-père, un moment séduit par le sionisme après avoir assisté à l’inauguration de l’université hébraïque de Jérusalem, s’en est éloigné après avoir pris connaissance de la révolte palestinienne de 1929, qui montrait l’impossibilité d’un établissement juif en Palestine sans que ce soit une occupation coloniale.
Il faut comprendre que ce puisse être différent pour des Juifs d’Europe de l’Est ou d’Afrique du Nord, à qui la création d’Israël a donné le sentiment d’obtenir une dignité dont ils n’avaient jamais eu l’expérience, et pour certains un endroit où aller parce qu’ils n’avaient le choix nulle part ailleurs (bien sûr, ceux qui avaient le plus de moyens financiers, d’informations et de contacts avaient plus de choix).
Même si les dirigeants israéliens actuels sont d’authentiques colonialistes génocidaires et en définitive fascistes, ce n’est pas une raison pour les décrire (sur les réseaux sociaux, surtout, où on lit des horreurs des deux côtés) en des termes déshumanisants que l’on n’utilise ni pour les nazis, ni pour les coupables de l’apartheid en Afrique du Sud, ni, bien sûr, pour les agents du colonialisme français en Algérie ou ailleurs, et cette déshumanisation réservée à Israël suscite bien sûr le soupçon d’antisémitisme, que le camp adverse ne manque pas d’exploiter, les péripéties électorales françaises en ont donné de nombreux exemples. On peut bien sûr, d’un côté, appeler à la destruction totale du Hamas, voire à l’expulsion totale des Palestiniens, ou bien, dans l’autre camp, vouloir la destruction d’Israël et une Palestine arabe du Jourdain à la Méditerranée : mais ce ne sont que des slogans creux, aucun de ces événements n’adviendra dans un avenir prévisible.
Bref, j’y reviens : comprendre un minimum de quoi il retourne dans les événements du Moyen-Orient demande un minimum de connaissances historiques et géographiques dont la plupart sont dépourvus. C’est pour cela que j’aime bien le dernier livre de Jean-Pierre Filiu, “Comment la Palestine fut perdue - Et pourquoi Israël n’a pas gagné”, qui présente un tableau très complet sous un volume raisonnable, j’en ai rendu compte ici.
Après relecture de ce message : bien sûr, ni les expériences humiliantes du passé, ni les commentaires déplacés du présent ne justifient le soutien à la clique de Netanyahou et à sa politique génocidaire. Mais l’ignorance contribue souvent à des positions injustifiables, les réseaux sociaux en regorgent.
Depuis toujours, et comme l’explique bien Jean-Pierre Filiu, le mouvement sioniste, et à sa suite le gouvernement israélien, ont su utiliser au mieux tous les relais d’influence disponibles, comme aujourd’hui en France le CRIF, qui a un passé autrement honorable que sa pratique actuelle de relais de la pire politique israélienne. Point besoin pour voir cela de verser dans le complotisme : ces activités d’influence ont lieu au grand jour, sont revendiquées.
Pour conclure : l’antisionisme n’est pas un antisémitisme, les juifs ont le droit de se désolidariser des actions criminelles de l’État d’Israël sans se voir accusés d’antisémitisme.