Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Maguy et Claude Vion
Une histoire de montagne et de fractions
Article mis en ligne le 21 février 2025
dernière modification le 26 février 2025

par Laurent Bloch

Quand je vais à la montagne, le plus souvent c’est à Pralognan-la-Vanoise, depuis Pâques 1959, j’étais en sixième. Au début, mon épouse se demandait pourquoi nous allions tous les ans, deux fois par an, au même endroit. Bien, nous avons essayé ailleurs, Val-Cenis, Saint-Véran, Valsavarenche (au pied du Grand Paradis !), Rhêmes-Notre-Dame, des endroits magnifiques, mais elle a bien dû admettre que Pralognan c’était mieux.

Ces dernières années nous louions un appartement à Maguy et Claude Vion, des personnages hors du commun. Lorsque nous y fumes en mai dernier (2024), nous avons vu Claude pour la dernière fois, il nous a quittés le 3 juillet, une chute dans un éboulis en ramassant des champignons dans la forêt de Chollière. Le Dauphiné libéré écrit : « Victime d’un accident dans la forêt de Chollière, l’ancien maire de Pralognan (1989-2001) et pionnier du Parc national de la Vanoise (de 1964 à 1997) s’en est allé dans cette montagne qu’il n’a cessé de chérir et de défendre durant toute sa vie. À 87 ans, le 3 juillet 2024. »

Lors de notre séjour d’août nous sommes allés voir Maguy à l’hôpital près de Chambéry, c’était aussi la dernière fois, elle a suivi Claude le 2 décembre. Ils nous manquent, ils sont inoubliables.

Lors de notre séjour de mai, Claude et Maguy nous ont invités à prendre l’apéritif. Claude parlait de son passé d’instituteur, et notamment de son expérience d’enseignement de la réduction des fractions au même dénominateur.

Quelque temps après j’ai repensé à cette histoire de réduction des fractions au même dénominateur. J’ai sorti de la bibliothèque mon livre d’algèbre de spéciales (Michel Queysanne, Armand Colin) et cherché le chapitre sur l’ensemble $\mathbb{Q}$ des nombres rationnels : cela m’a paru inadapté à l’école primaire.

Alors j’ai demandé ce qu’elle en pensait à une amie scientifique de haute volée et habituée à enseigner ces matières aux enfants de son entourage, ainsi que la règle de trois, autre exercice non trivial. Elle m’a confirmé que le concept de fraction était difficile.

Pour commencer, on partira de l’habituel partage de tartes, irremplaçable. Puis on pourra faire des exercices en modifiant le numérateur sans toucher au dénominateur. Puis on montrera la simplification, étape intermédiaire facilitante. Puis modifier le dénominateur sans toucher au numérateur. Quand on aura fait tout cela, souvent, l’idée de réduction au même dénominateur pourra apparaître. Et pourquoi faut-il réduire pour l’addition mais pas pour la multiplication ? En fait c’est une question difficile. Là aussi, commencer par manipuler soit le numérateur, soit le dénominateur, mais pas les deux ensemble.

Merci à Claude de m’avoir aidé à penser à ces choses si fondamentales qu’on les oublie !

Maguy aussi avait une forte personnalité. Fille d’officier de marine breton, elle était tombée amoureuse de son moniteur de ski, Claude bien sûr.

Un jour leurs enfants, Sylvie et Pierre-Yves, rentrent de l’école en exprimant le désir d’assister au catéchisme avec leurs petits camarades. « D’accord, répond Maguy, mais si vous allez au catéchisme, vous irez aussi à la messe tous les dimanches matin ». Les enfants n’avaient pas prévu ça, et il était trop tard pour reculer.

Mais un autre obstacle allait surgir : le curé refuse de prendre les petits Vion au catéchisme parce qu’à l’époque Maguy et Claude militaient au parti communiste. Qu’à cela ne tienne, Maguy part au presbytère et le curé en sera quitte pour une bonne leçon de laïcité républicaine assaisonnée de charité évangélique, et bien sûr acceptation de Sylvie et de Pierre-Yves au catéchisme.

Quelques années plus tard, pour une activité associative qu’elle anime, Maguy demande au curé l’usage de la salle paroissiale : il refuse. Bon, un petit tour à Chambéry, une causette avec l’évêque du diocèse et l’affaire est réglée.

Bon, les Vion n’étaient pas rigides pour autant, et ils ont su adapter leurs relations avec l’Église : il y a quelques années, le clocher de l’église du village menaçait de s’effondrer, il fallait entreprendre des travaux très importants, la dépense dépassait les moyens disponibles, une collecte auprès des habitants et des vacanciers fut ouverte. Et qui organisait la gestion de la cagnotte ? Claude Vion !

Claude a été aussi maire de Pralognan, il a quitté la carrière d’instituteur pour se consacrer au Parc national de la Vanoise, mais Maguy est restée institutrice. Lorsque l’on circule dans Pralognan, les trois quarts des gens avec qui l’on a l’occasion de parler ont été ses élèves, et ils en ont gardé de forts souvenirs, par exemple quand elle les emmenait en classe de mer dans sa voiture personnelle !

Il va sans dire que Claude était un montagnard accompli, mais Maguy l’a suivi là aussi, en dépit de son ascendance maritime. Un hiver ils sont partis en ski derrière le refuge Péclet-Polset pour rejoindre l’autre vallée, vers Courchevel ou Méribel, pas vraiment une ballade de débutants, avec peaux de phoque et tutti quanti.

Nous penserons souvent à eux, ainsi qu’à Dominique Jeangeorges et à Robert Burlet, qui ont contribué à nous faire mieux connaître cet endroit fabuleux.