Azar Nafisi est une romancière, écrivaine et professeure iranienne. Dès l’âge de 13 ans ses parents l’envoient étudier en Angleterre, puis aux États-Unis où elle obtient un doctorat. À la chute du shah en 1979, comme beaucoup d’Iraniens progressistes, elle rentre en Iran, pleine d’espoir dans le nouveau régime révolutionnaire, et devient professeure de littérature anglaise et américaine à l’université, d’où elle est chassée en 1981 pour son refus de porter le voile islamique devenu obligatoire. Elle enseigne alors clandestinement la littérature occidentale chez elle à quelques étudiantes, ce qui fait le sujet de son livre Lire Lolita à Téhéran, dont le film d’Eran Riklis est l’adaptation. Elle quitte définitivement l’Iran en 1997, écrit des articles pour le New York Times, le Washington Post et The New Republic, et travaille à l’université Johns-Hopkins.
On peut s’étonner qu’un metteur en scène israélien, Eran Riklis, ait porté Lire Lolita à Téhéran à l’écran avec des acteurs iraniens (Golshifteh Farahani dans le rôle d’Azar Nafisi, Zar Amir Ebrahimi, Mina Kavani, Shahbaz Noshir), et des dialogues en persan. Eran Riklis appartient à la petite cohorte de cinéastes israéliens qui filment la vie des Palestiniens et défendent leur situation dans leur pays, comme par exemple par ses films La Fiancée syrienne et Les Citronniers, avec l’actrice palestinienne Hiam Abbas.
Wikipédia donne d’excellents résumés du livre, du film, la liste de toutes les œuvres de la littérature de langue anglaise étudiées dans la clandestinité, de Jane Austen à Vladimir Nabokov, avec quelques excursions dans d’autres domaines linguistiques, Gustave Flaubert, Mario Vargas Llosa, Franz Kafka, Italo Svevo, Marjane Satrapi... Je ne me donnerai donc pas la peine de les paraphraser et m’en tiendrai aux réflexions que m’a inspirées ce film.
Je m’efforce de voir tous les films iraniens qui sortent, même s’il m’arrive d’en rater : le cinéma iranien est d’excellente qualité, la plupart du temps très critique du régime, ce qui ne manque pas d’attirer de sérieux ennuis aux réalisateurs. Ce film-ci n’est pas iranien mais il confirme le sentiment que ceux-là ne manquent que rarement de m’inspirer : quelle similarité entre le régime iranien et le régime soviétique ! Les interventions terroristes des petits apparatchiks « gardiens de la révolution » pendant les cours de la professeure auraient bien trouvé leur place à Moscou. Même impression qu’avec les Chroniques de Téhéran d’Ali Asgari et d’Alireza Khatami, un savant dosage de bureaucratie, de terreur, de mensonge et de verbiage édifie insidieusement le totalitarisme.
J’ai eu l’occasion de conseiller ce film à une dame iranienne que je connais, en précisant que bien que ce soit un film israélien elle y verrait des acteurs iraniens et y entendrait parler persan. À mon regret j’ai ainsi déclenché une controverse familiale : la dame à qui j’avais donné le conseil, comme beaucoup d’Iraniens en exil après avoir fui le régime des mollahs, se réjouit chaque fois que le pouvoir iranien reçoit un coup, et trouve finalement Netanyahou assez sympathique quand il fait bombarder des sites militaires en Iran. Mais son fils, jeune adulte solidaire des Palestiniens sous les bombes à Gaza, n’est pas d’accord et ne veut pas voir le film. C’est un exemple des dilemmes suscités par les événements épouvantables des derniers mois : il est devenu pratiquement impossible d’expliquer qu’en même temps on est de tout cœur avec les Palestiniens victimes d’opérations génocidaires et que l’on trouve la clique de Netanyahou parfaitement fasciste, mais que ce n’est pas pour autant que l’on approuve les crimes odieux du Hamas, organisation totalitaire qui, soit dit en passant, a assassiné bien plus de Palestiniens que d’Israéliens. Et quand on a dit cela on a déjà perdu la moitié de ses amis, j’en suis malade.
Bref, vous pouvez aller voir ce film sans honte, il milite pour la liberté de penser et en un mot pour la démocratie, mal en point partout dans le monde.